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AUCUNE UTILISATION PERMISE DE CE TEXTE SANS L'AUTORISATION ÉCRITE DE L'AUTEUR PATRICK WHITE
Ce résumé de lecture d’une partie du livre d’Arendt intitulée La crise de la culture : huit exercices de pensée politique présente les visées de l’auteure et l’économie de son texte. Il reprend du même coup les principaux thèmes et arguments de son texte. Enfin, avant de conclure, il présente mes réflexions.
L’auteure vise à montrer que la tradition en philosophie politique commence avec les écrits de Platon et Aristote et finit avec ceux de Marx. Platon a toujours soutenu que la philosophie et la vérité se retrouve en dehors des affaires des hommes et de leur monde commun. Pour Arendt, la fin arrive lors que des philosophes comme Marx disent que :
Selon Arendt, les idées de Platon et Aristote prouvent leur vitalité en amenant Marx à des thèses contradictoires (disparition de l’État, loisirs illimités, importance du travail, etc.).
L’identification marxiste de l’action avec la violence, de la glorification du travail et de la «réalisation» de la philosophie pour transformer le monde représenteraient donc trois défis fondamentaux à la tradition de la pensée politique. En ce sens, “l’attitude de Marx à l’égard de la tradition fut de rébellion consciente.” Il aurait lancé des défis clairs à la tradition.
Arendt vise à montrer que chacune des thèses de Marx contient une contradiction fondamentale et qu’elles sont conçues en des termes traditionnels qui se discréditent. Ces contradictions sont impardonnables pour un auteur de premier plan comme Marx et ne peuvent donc pas être négligées.
Chez Marx, comme chez beaucoup d’auteurs du XIXe siècle, le style choquant et enjoué dissimule leur malaise à parler de phénomènes nouveaux en utilisant les termes et concepts de la vieille tradition sans lesquels leur pensée serait impossible. Ils feraient donc du neuf avec du vieux. «La révolte contre la tradition au XIX siècle demeura strictement à l’intérieur du cadre traditionnel», écrit-elle.
Arendt soutient qu’alors que les Romains ont adopté la pensée et la culture classiques grecques comme leur propre tradition spirituelle et que l’époque de la Renaissance exalta la découverte de l’Antiquité, l’âge moderne a transformé la planète à tel point que la confiance en la tradition est maintenant impossible. Les auteurs du XIXe siècle auraient par ailleurs substitué la tradition par le fil de la continuité de l’Histoire.
Arendt se consacre donc à cette rupture, qui est une des caractéristiques principales du XXe siècle. Elle tente de comprendre comment cette fin de la tradition s’est déroulée et les conséquences qui en découle. Arendt dit qu’il est bien possible que les tentatives des grands penseurs après Hegel, pour se dégager des types de pensée qui ont gouverné l’Occident de l’Antiquité au XIXe siècle, aient annoncé la rupture de l’histoire et l’apparition de la domination totalitaire. L’auteure soutient que la fin de la tradition est concordante avec le pouvoir de plus en plus tyrannique des vieilles notions. Ce pouvoir tyrannique se développerait «tandis que la tradition perd de sa vitalité et que le souvenir de son commencement s’éloigne.» Ces tentatives ne sont cependant pas la cause de cet «événement», mais «elles peuvent aider à l’éclairer». Il serait par contre dangereux de dire que le monde du XXe siècle soit la conséquence directe des théories de auteurs tel Marx.
Kierkegaard, Nietzsche et Marx auraient donc défié les thèses fondamentales de la religion traditionnelle, de la pensée politique traditionnelle et de la métaphysique traditionnelle en renversant consciemment la hiérarchie traditionnelle des concepts.
L’auteure reconnait aussi que ces penseurs ont été les premiers à remettre en question la hiérarchie conceptuelle qui avait gouverné la philosophie occidentale depuis Platon. Elle dit qu’ils furent les premiers à oser penser sous l’influence d’aucune autorité.
Les sauts de Kierkegaard, Marx et Nietzsche dans des concepts non traditionnels furent un renversement et une déformation destructrices de la tradition. Leur révolte commune contre la tradition serait ressemblante.
«Le saut de Kierkegaard du doute dans la croyance fut un renversement et une déformation de la relation traditionnelle entre la raison et la foi» écrit l’auteure. Le doute devient une religion. Le saut de Marx de la philosophie dans l’action politique rend l’action politique plus théorique et proche de l’idéologie. Enfin, le retournement de Nietzsche envers le platonisme et son insistance sur la vie aux dépens des valeurs, des idées suprasensibles et transcendantes est une dernière tentative de se distancer totalement de la tradition. Nietzsche aurait fait ici le saut du royaume non sensible à la volupté de la vie. Il aurait dévalué et méconnu l’importance des valeurs, tout comme Marx.
Arendt essaie, dans ce chapitre consacré à la rupture entre la pensée traditionnelle et la pensée moderne, de montrer que les efforts des penseurs tels Kierkegaard, Nietzsche, et surtout Marx ont été vains. Arendt essaie de montrer que leur tentative de lancer des défis à la tradition est un échec. «Chacune de leur révolte semble être concentrée sur le même sujet sans cesse repris : contre les prétendues abstractions de la philosophie et son concept de l’homme animal raisonnable, pour la force de travail et pour la productivité de la vie.» Pour Arendt, «la rupture dans notre tradition est maintenant un fait accompli. (...) La signification des défis de ces auteurs est qu’ils constituent une subversion radicale avec leurs oppositions entre sensualisme et idéalisme, matérialisme et spiritualisme, etc.»
Dans l’ensemble, je partage les idées de Arendt, dans la mesure où j’aspire et je crois à un retour au classicisme en philosophie politique. Je rejette personnellement les idées post-modernes et même celles des auteurs du XIXe siècle qui ont tenté de faire transition vers la pensée dite moderne.
Je crois, tout comme Arendt, que depuis la naissance de la science moderne par Descartes (la source de beaucoup de nos problèmes) et la diffusion de sa philosophie du doute et de la défiance, la hiérarchie des concepts traditionnels tels la vérité, la contemplation, la primauté de la raison et la “théorie” n’a pas pû être maintenue et assurée.
Les auteurs modernes ont dit que la façon de voir les choses avant eux était inadéquate. Je ne suis pas d’accord avec eux. Je ne crois pas que comprendre notre monde soit un leurre
Ce genre de perspective nous amène dans un cul-de-sac. Ça ne nous même nulle part. Plus rien n’existe. La notion de société n’existe pas. Il n’y a pas de sens du bien et de la moralité. Or, si le bien ne peut être atteint, est-il possible de viser quelque chose dans le vie? Pourquoi vivre si nous n’avons plus de moyens de savoir ce qui est bien ou mal? L’idée même de raison n’a pas de sens si le bien ne peut être atteint, Seule l’idée de raison instrumentale prime (la technique, la logique technicienne). Cela désincarne la société.
Je rejette donc la logique moderne qui se veut non-rationnelle et non efficace.
Le monde aurait perdu une de ces caractéristiques les plus fondamentales, l’enchantement i.e le fait de s’émerveiller en face de ce qui est tel qu’il est, soutient Arendt. Le désenchantement du monde nous frappe tous et, en ce sens, il ne faut pas se surpendre de cette grande apathie qui frappe les citoyens actuellement.
La rupture dans la pensée politique par les modernes a eu pour conséquence de créer une confusion et un désarroi spirituels dans la société d’aujourd’hui. La fin de la tradition, amenée par des auteurs comme Marx, Kierkegaard et Nietzsche a commencé lorsque ceux-ci ont rejetté l’expérience philosophique passée et rendues insignifiantes la pensée et la réalité. En partie à cause d’eux, beaucoup de gens aujourd’hui doutent de tout, relativisent et ne savent plus ce qui est vrai ou faux.
Réalisé par
Patrick White
Québec, le 6 avril 1994