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Par Patrick White, professeur de journalisme à l'Université du Québec à Montréal (UQÀM).
L’intelligence artificielle (IA) a déjà un impact significatif sur le journalisme, puisque des robots génèrent des articles automatiquement à partir de résultats sportifs ou de rapports financiers, pour des agences de presse telles que Bloomberg News et l’Associated Press.
Bloomberg, en particulier, utilise l’IA pour diffuser des nouvelles ultra-personnalisées et lancer des alertes en cas de hausse ou de baisse subite du cours d’une action.
Par l’entremise d’assistants personnels et d’autres outils de reconnaissance vocale, l’intelligence artificielle pourrait également favoriser la consommation de nouvelles des jeunes.
Or, tout n’est pas rose dans le merveilleux monde de l’IA. Les vidéos deep fake sont particulièrement dangereux, et la confidentialité des données est un enjeu plus fondamental que jamais.
L’agence Reuters a elle-même créé une vidéo truquée pour entraîner ses journalistes à détecter les fausses informations avant que celles-ci ne se propagent de manière virale.
Dans le cadre d’un récent partenariat avec Facebook, l’Agence France-Presse (AFP) a entrepris de vérifier l’authenticité des nouvelles en s’appuyant sur des algorithmes et les commentaires des usagers. Et ça fonctionne! Avec sa nouvelle équipe, l’AFP détecte des fausses nouvelles sur une base quotidienne.
Pour sa part, le Washington Post a créé un logiciel d’apprentissage automatique permettant à ses journalistes d’analyser des données plus rapidement.
Vous voulez un autre exemple? Un générateur de texte a rédigé près de 40 000 articles à l’occasion des élections de novembre 2018 en Suisse.
L’apprentissage automatique s’annonce très prometteur dans les cas où il faut analyser de grandes quantités de données. Or, certains journalistes se méfient de l’excès d’enthousiasme suscité par cette technologie auprès de leurs collègues : «Nous en aurons besoin dans quelques rares circonstances, notamment si la tâche consiste à trier des données», affirme Peter Aldhous, journaliste scientifique de BuzzFeed News reconnu pour son utilisation audacieuse de l’apprentissage automatique dans le cadre de l’enquête Hidden Spy Planes.
Citant l’ingénieure Rachel Shorey, Aldhous souligne qu’une alerte par mot-clé ou un échantillon statistique standard suffisent parfois à obtenir l’information désirée aussi efficacement et dans un laps de temps encore plus court. «Nous devons utiliser les outils les plus appropriés. Dans la plupart des cas, nous n’avons pas besoin d’apprentissage machine. Nous avons besoin de sources de données fiables.»
L’IA a démontré son efficacité en matière de recommandation et de personnalisation des nouvelles. Cette avenue sera explorée de plus en plus souvent dans un proche avenir. Nous n’avons vu que la pointe de l’iceberg jusqu’à maintenant.
Au Washington Post, le programme Heliograf a permis de couvrir les Jeux olympiques d’été de 2016 dans ses moindres détails, par athlète et par compétition sportive, à l’aide de centaines d’articles générés automatiquement. Et ce n’est qu’un début là aussi.
L’IA remplacera-t-elle les journalistes? Je crois que non, puisque les articles qui en résultent risquent d’être ennuyeux et monotones. Qui voudra lire uniquement des résultats sportifs ou financiers résumés en deux paragraphes? Selon moi, les consommateurs recherchent encore de la valeur ajoutée dans le journalisme.
À preuve, l’Associated Press considère l’IA comme un moyen d’aider les journalistes à produire du contenu de qualité. L’agence a créé un groupe de travail sur l’automatisation, et ses robots contribuent à générer les résumés d’articles complets.
Il est certain que des robots continueront de publier des états financiers et des nouvelles sportives hyperlocales, mais ce sera uniquement à des fins d’optimisation et de réduction des coûts.
Chez Bloomberg News, l’automatisation permet de rédiger des milliers d’articles par semaine en tirant parti d’une masse de données financières auparavant inutilisées. Des hauts dirigeants de Bloomberg ont présenté leurs constatations dans le cadre du volet médias de la conférence South by Southwest (SXSW), tenue à Austin en mars 2019. Les progrès technologiques de cette agence d’information financière n’ont pas manqué de m’impressionner.
L’intelligence artificielle permet non seulement à Bloomberg de publier ses nouvelles plus rapidement, au bénéfice des courtiers en valeurs mobilières, mais également d’automatiser la traduction de milliers d’articles dans de nombreuses langues étrangères.
Ce recours systématique à l’IA fait en sorte que Bloomberg se définit non plus comme une agence de presse, mais comme une entreprise de données et de technologies de pointe.
L’IA permet d’amplifier la production de nouvelles et de les distribuer à plus grande échelle, si bien qu’un tiers du contenu de Bloomberg est maintenant généré avec une forme d’assistance automatique. Il faut préciser que les marchés financiers sont le pain et le beurre de cette agence.
De manière plus spécifique, l’IA alerte les journalistes de Bloomberg lorsque des faits ou données méritent qu’on y prête attention. Elle établit des corrélations, mais ses fonctionnalités restent tout de même limitées. Un ou une journaliste doit valider le contenu, puis rédiger un article à partir des données fournies par l’IA.
L’IA détecte les tendances du marché sans pouvoir effectuer tout le travail. Selon les panélistes de SXSW, elle permet tout de même de réduire le risque d’erreurs et de rapporter les faits avec plus d’exactitude.
Il n’est donc pas étonnant que des technologies similaires aient été utilisées par de nombreuses agences de presse pour valider les informations circulant au sujet de Donald Trump.
Les réseaux sociaux sont désormais incontournables. À l’aide d’algorithmes, le service SAM transforme les innombrables messages, photos et vidéos publiés dans Snapchat et Twitter en données décisionnelles. Cet outil de connaissance situationnelle permet aux journalistes d’identifier un événement, de vérifier son authenticité et de suivre la situation de près.
Pour conclure, je suis convaincu que l’IA ne sera pas aussi dommageable pour le journalisme qu’on ne le craignait il y a quelques années. Nous aurons toujours besoin de journalistes pour analyser les faits, mettre les choses en contexte, raconter des histoires, choisir des sujets, leur donner une visibilité et comprendre le sens des événements. L’IA contribuera essentiellement à mieux utiliser les données et à rapporter celles-ci de manière plus innovante. Je demeure donc optimiste!