L’éternel retour ou de l’Histoire au futur antérieur

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La galerie Tzara propose, jusqu’au 23 décembre, une exposition réunissant deux générations d’artistes. Comme dans le domaine musical où la tête d’affiche choisit son « house band », l’artiste-commissaire Paul Béliveau, figure marquante du milieu de l’art au Canada et aux États-Unis, notamment avec ses séries « Les Humanités » et « Les Rencontres », greffe à son nouveau projet une artiste de la relève de Québec, Catherine Blanchet. S’adjoignant l’aide du commissaire et critique d’art Sébastien Hudon – en nomination au premier « Gala des arts visuels » dans la catégorie « Jeune commissaire de l’année » –, Monsieur Béliveau présente « Capture », une exposition réunissant vingt morceaux esthétiquement fabuleux, cérébraux et critiques du présent.

Paul Béliveau étonne. Sujets délicats, l’artiste revisite notre passé immédiat à la page. Critique du présent, où l’histoire s’écrit instantanément à l’aide de tous les médias d’informations en continu, les réseaux sociaux, blogues et autres médias numériques, l’artiste croque des instants précis d’évènements catastrophiques survenu aux États-Unis à une époque rapprochée. Des ensembles de faits historiques véhiculés par les médias de masse en boucle. D’ailleurs, non seulement l’expérience esthétique est fascinante – un maitre de la peinture à l’huile, entre autres, et formé à l’Université Laval entre 1974 et 1977 –, mais le portrait d’ensemble (car il faut considérer l’exposition comme un sujet unique, une forme de critique de l’hypermédiatisation de l’information et/ou de l’hyperconcurrence entre médias sursensationnalistes) est, à toute fin, une sorte de désenchantement du monde actuel. Monsieur Béliveau questionne notre capacité – la sienne, par voie de conséquence – à cette limite humaine à gober sans fin, simultanément, par l’entremise d’un iPhone, d’un ordinateur, une télé, un iPad, un journal, la radio, etc., des malheurs répétés et mondialisés. Cette sursaturation de l’information déprime, blase et désillusionne tout un chacun et, par extension, nous renvoie cette image fataliste de l’impuissance de nos individualités dans un monde que Gilles Lipovetsky nommerait : l’ère du vide.

Cette série de petits formats à l’huile sur bois, insérés dans des coffrages de bétons – une matière fragile et éphémère – est avant tout une œuvre picturale. L’artiste use d’un procédé évoquant notamment les tableaux hollandais du XVIIe siècle. De la peinture de genre, représentant des scènes de la vie quotidienne. Les œuvres sont d’ailleurs toutes créées avec un vernis craquelé (voir la peinture « Exxon » qui illustre ce papier). Le craquèlement est d'ailleurs une idée géniale. Une sorte de craquèlement du présent, fissuré, où l'Histoire, l'art, etc., bat à un rythme si effréné, que l'actualité transpire au présent perpétuel. C'est-à-dire, demain est déjà une nouvelle histoire, une nouvelle œuvre et hier appartient au passé, à l'histoire… L'évanescence domine nos vies échevelées qui carburent à l'amnésie socialement pathologique. L’ouragan Katrina, l’attentat d’Oklahoma City, l’affaire O.J. Simpson ou le désastre écologique d’Exxon Valdez, sont des événements de l’histoire récente des États-Unis et, pourtant, ce sont des souvenirs qui semblent appartenir à une autre époque. L’information est si instantanée et brève dans le temps, qu’aucune ne peut être décantée, l’une supplantant l’autre en continu. Au reste, nous pourrions envisager l’histoire d’un point de vue non linéaire, de la même manière que certains peuples précolombiens. Pour citer le cocommissaire de cette exposition et signataire du premier catalogue d’exposition (Kaléidoscopies, les frissons du réel) de la jeune galerie de Québec, Sébastien Hudon : « J'ai la ferme intuition que ces œuvres suggèrent une conception du temps et un rapport à l'histoire qui renverse complètement nos repères habituels. À la fois cyclique, comme dans la philosophie orientale, mais surtout, inversée comme chez les Aymaras, un peuple très ancien de la Bolivie. Il semble que chez ces derniers, la perception du temps aurait été contraire à celles de civilisations occidentales. En effet, selon leur propre système, le passé, connu et visible, se trouve devant nous, alors que le futur, inconnu et invisible, se trouve derrière... Ainsi, nous courrons vers le passé que nous embrassons avec lucidité tout en fuyant, comme à rebours, l'avenir, qui nous rattrape et se dévoile petit à petit... »

Le travail de Paul Béliveau est un travail où le matériau est autant philosophique, sociologique, artistique, qu’anthropologique. L’expérience esthétique, autant qu’intellectuelle, oblige le visiteur à un moment d’arrêt. Car, les œuvres sont des instants figés renvoyant constamment au concept nietzschéen de « L’éternel retour ». C’est-à-dire, comme si chaque instant se reproduisait éternellement. Dans un esprit similaire, pour citer Walter Benjamin : « Où paraît devant nous une suite d’événements, il (Ange de l’Histoire) ne voit qu’une seule et unique catastrophe. »

Catherine Blanchet

Titulaire à l’Université Laval d’une maitrise en arts visuels depuis 2009, l’artiste vit à Québec, son travail « d’une spiritualité sincère et fragile, explore des figures complexes et fantastiques qui rappellent les étranges arrangements de motifs qui éclosent au cœur des Kaléidoscopes… ».

Catherine Blanchet présente chez Tzara cinq dessins grands formats où s’impose une réflexion plastique. Nous serions, à première vue, tentés d’y voir des impressions numériques, toutefois, l’artiste utilise plutôt un appareil photo numérique où elle capte des objets de verre taillé, qu’elle reproduit ensuite en dessins. La série récente, intitulée « Mandalas », vaut le détour, ne serait-ce que pour les qualités plastiques de l’ensemble. Assurément une artiste de la relève à suivre.

Galerie Tzara, 375, rue Saint-Paul, Québec, G1K 3X3

www.galerietzara.com

Michaël Lachance, collaborateur à Québec pour patwhite.com

lachance.michael@videotron.ca