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La pièce «Les mains d’Edwige à la naissance» de Wajidi Mouawad, écrite en 1990, a déjà vu le jour sur scène il y a plusieurs années. Le théâtre La Bordée a commencé sa saison 2020 en force en présentant ce mercredi dernier la pièce dans un ensemble artistique tout nouveau, signé Michel Nadeau, directeur artistique.
Edwige est une jeune femme qui a le don de faire couler l’eau de ses mains lorsqu’elle prie. Edwige est aussi la soeur d’une femme disparue il y a de cela dix ans: Esther. Un soir, les membres de la famille de l’adolescente organisent une soirée funèbre pour dire adieu à Esther qu’ils disent morte, puisque introuvable depuis des années. Le tout est surtout un prétexte pour faire une soirée profitable aux portes-feuille, et ce, à l’insu d’Edwige: sa famille prévoit financer des projets personnels en vendant un spectacle où la jeune fille se mettra en scène, elle et son don, en train de prier.
C’est une œuvre puissante, lyrique et philosophique. C’est d’abord un texte poétique formidable, aux dialogues forts et directs. C’est une plume franche et sensible de Mouawad qui transporte les pensées vers des réflexions morales sur l’intouchable: la valeur sacrée de l’humain et ses convictions profondes. Jusqu’à quel point pouvons-nous, êtres d’égo, se souiller dans l’appât du gain? Profiter de l’Autre et de ce qu’Il a de plus précieux, comme le don de prière d’Edwige, à des fins mercantiles n’est pas chose morale. Il est toutefois l’enjeu principal de la pièce: l’instrumentalisation d’un être (aimé!) pour faire de l’argent. Et si l’amour est éblouissant et rend aveugle, cette oeuvre nous rappelle que l’argent et le monde matériel rendent aveugle également, parfois jusqu’au point d’en oublier l’essentiel: l’amour pur et la fratrie. La mise en scène brillante de Jocelyn Pelletier, qui trouve son efficacité dans un look épuré, que l’on juge d’abord sans prétention, est ensuite l’un des grands attraits de la pièce. La mise en oeuvre est très réfléchie et impressionnante dans sa simplicité, et on le découvre avec surprise d’une scène à l’autre. L’ambiance musicale subtile et tendue, composée par Mykalle Bielinski, aide le public à se plonger dans la réalité étouffante d’Edwige. Les jeux de lumières (Martin Sirois) sont aussi un ingrédient important au brillant résultat de l’oeuvre.
Si la mise en scène et ce qui l’entoure ont été modelés avec brio, les comédiens (voir distribution à la fin du texte), ont honoré le texte de Mouawad par leur intensité bien placée et leur jeu tout en crédibilité. De la jeune Edwige (Marianne Marceau-Gauvin) émanaient force et vulnérabilité, puis ombre et lumière.
Elle est digne de mention, la brillante performance d’Annabelle Pelletier-Legros, qui jouait une Esther brisée, à bout de souffle, en peine et lourde de son ventre de femme enceinte. Le jeu de la comédienne a probablement été la pierre angulaire de la pièce. Jouer cette souffrance, ce désespoir, cette passion et cette mélancolie avec une telle sensibilité et force est sans aucun doute le résultat d’heures de recherche et de travail, certes, mais aussi d’un talent brut.
Normand Bissonnette (Mathias)
Samuel Corbeil (Vaklav)
Lorraine Côté (Éloïse)
Marianne Marceau-Gauvin (Edwige)
Annabelle Pelletier-Legros (Esther)
Lucien Ratio (Alex)
La pièce «Les mains d’Edwige à la naissance» sera en représentations au théâtre La Bordée jusqu’au 8 février 2020.
Crédits photo: Vincent Champoux