Étude - Les défis des agences de presse internationales AFP, Reuters, AP et Bloomberg à l’ère des GAFA et de l’Intelligence artificielle

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Les défis des agences de presse internationales AFP, Reuters, AP et Bloomberg à l’ère des GAFA et de l’Intelligence artificielle

par Paloma Martínez Méndez (UQAM), sous la supervision de Patrick White (UQAM) - 29 juillet 2022

@copyright 2022. Aucune utilisation sans le consentement des deux auteurs. Cette étude a été financée par le programme PAFARC de l'Université du Québec à Montréal (UQAM).

ÉTUDE - Les défis des agences de presse internationales AFP, Reuters, AP et Bloomberg à l’ère des GAFA et de l’Intelligence artificielle

  1. Introduction 

 

Les agences de presse internationales sont des « courtiers en informations » internationaux qui recueillent, rédigent et distribuent des informations provenant d'un pays spécifique ou du monde entier à des journaux, des périodiques, des diffuseurs de radio et de télévision, des agences gouvernementales et d'autres utilisateurs.

 

En général, une agence ne publie pas les nouvelles elle-même, mais les fournit à ses abonnés qui, en partageant les coûts, obtiennent des services qu'ils ne pourraient pas se permettre autrement. 

 

Dès la dernière moitié du XXe siècle, ces agences sont devenues omniprésentes dans le paysage médiatique, car c’est à cette époque que le public du monde a commencé à accéder à des informations nationales et internationales produites par l'une ou plusieurs d’entre elles et par l’intermédiaire des médias de masse qu’elles desservent. 

 

Aujourd’hui, bien des médias de masse dépendent des agences pour l'essentiel des informations, y compris les rares qui disposent de leurs propres moyens de collecte d'informations.

 

L’historien américain des médias, Christopher Sterling, explique aussi que les agences de presse internationales partagent généralement plusieurs caractéristiques communes : 

 

  • Elles sont des entités privées dont la propriété appartient soit aux médias qu'elles servent, soit à des sociétés anonymes. 
  • Elles ont toutes une longue histoire qui remonte au XIXe siècle [...] 
  • Malgré leur portée mondiale, elles sont toutes (à l'exception de Reuters) le principal fournisseur d'informations nationales des médias de leur pays d'origine. 
  • Elles agissent comme des entreprises concurrentielles, cherchant des clients dans les médias qu'elles doivent desservir.
  • Elles fournissent toutes des produits similaires : les mots, les images et les données des nouvelles quotidiennes, fournis 24 heures sur 24, souvent en plusieurs langues. 
  • Elles ont toutes été à l'avant-garde de l'innovation ou de l'application des technologies de communication. 
  • Et dans les années 1970, elles (en particulier les agences  occidentales) ont suscité une grande méfiance dans les pays du tiers monde.

 

Aujourd’hui, les agences de presse internationales sont au nombre de quatre : AFP, AP, Reuters et Bloomberg (Montane, 2021). Elles sont de plus en plus concurrencées par les réseaux sociaux et les géants du web (Palmer, 2020), qui leur coupent l’herbe sous le pied en publiant leurs nouvelles souvent sans redevances.

 

Lorsque les plus anciennes agences ont été fondées il y a plus de 170 ans, à une époque où l'accès à l'information dans des régions éloignées du monde et la capacité de la transmettre étaient leur tâche presque exclusive, les trois principales agences internationales de presse, soit Reuters, Havas (devenu l’Agence France-Presse ) et l’Associated Press, possédaient le monopole du flux international de nouvelles. 

 

Dès lors, elles ont assuré, en tant que fournisseurs des médias tout support confondu, l'accès à l'information dans des régions éloignées du monde qui ne disposaient pas des conditions financières, logistiques ou de savoir-faire nécessaires pour produire leurs propres informations dans certains domaines.

 

L’historien des médias Michael Palmer explique dans son dernier ouvrage que les origines de ces trois agences ont été étroitement liées à l'expansion des télécommunications, c'est-à-dire avec le développement des lignes télégraphiques et de la presse entre les années 1830 et 1840 en Europe et aux États-Unis.

 

Artero et Morales suggèrent pour leur part que l'organisation initiale des agences s'inscrivait dans la structure coloniale, car elle reposait sur le contrôle politique et militaire des territoires d'outre-mer et sur leurs relations économiques avec leurs métropoles. 

 

À leurs débuts, certaines de ces agences avaient pour principal produit l'information économique, mais au fil des ans, elles se sont surtout développées en tant qu'intermédiaires entre les événements d'actualité et les médias, qui informent le public au final. (Artero, J. & Morales, R., 2008: 54)

 

Jusqu’au début des années 1990, les principales agences fournissent du contenu pour des milliers de médias régionaux et nationaux et, par le fait même, elles consolident leur rôle dans le marché international de l’information et continuent de profiter des avancements technologiques pour leur expansion.

 

Selon Mark D. Alleyne, Janet Wagner, même en 1993, cinq grandes agences dans quatre grands pays dominaient l'essentiel de l'actualité internationale, soit l’Associated Press (AP), United Press International (UPI), Agence France Presse (AFP), Reuters et l’agence de presse soviétique TASS (Agence télégraphique de l'Union soviétique). 

 

Cependant, les changements sociaux, politiques et économiques ainsi que les progrès technologiques des deux dernières décennies, cela ajouté au contexte de la mondialisation des marchés, ont radicalement modifié ce tableau et exigent une réinterprétation du rôle des agences dans la chaîne de production et de distribution des informations. 

 

Pour Marcelo Botto, au XXIe siècle, avec l'émergence des technologies dérivées d'Internet, les agences de presse internationales se sont vu imposer un nouveau défi : s'adapter à l'énorme quantité d'informations qui circulent et sont accessibles aux médias, aux institutions et aux particuliers.

 

Pour sa part, Ignacio Muro Benayas affirme que les nouvelles technologies ont obligé les agences de presse internationales à sortir d’un certain anonymat dont elles jouissaient depuis leur naissance en tant que fournisseurs et intermédiaires d'informations entre les médias et le public. 

 

Cet économiste, professeur de journalisme et ancien directeur général de l’agence de presse  espagnole EFE, croit qu’alors que les médias traditionnels souffrent d’une crédibilité contestée, les agences de presse internationales gagnent simultanément en crédibilité et en notoriété. 

 

Déjà en 2011, Muro Benayas expliquait que la disparition des agences, que beaucoup prédisaient une décennie auparavant, ne s’est jamais concrétisée, bien au contraire. 

 

Internet a obligé les agences internationales de nouvelles à rendre accessible leur production d'informations comme n'importe quel autre média et à entrer en concurrence comme un autre fournisseur de contenu, bien que leur fonction n'ait pas encore été remplacée, ce qui leur permet d'occuper leur place dans le système médiatique ; à cet égard, les agences de presse - principalement internationales - n'ont toujours pas de concurrence, car elles distribuent encore deux tiers des informations publiées dans le monde (Muro Benayas, 2011). 

 

Cependant, alors qu'Internet est devenu le centre des changements dans la sphère journalistique et sur le marché des médias, les agences ont développé des projets pour s'adapter aux besoins imposés par le nouveau contexte médiatique mondial, explique Muro Benayas. 

 

Oliver Boyd-Barrett, spécialiste en communication internationale, précise pour sa part que dans un premier temps, Internet a été vu davantage comme une menace que comme une opportunité en raison de la réduction des coûts d'accès au marché de la collecte et de la distribution des informations. 

 

En d’autres mots, les informations sont devenues de plus en plus accessibles sur Internet et les médias et les publics sont désormais moins disposés à payer pour les obtenir via les agences. 

 

Cependant, Boyd-Barrett explique que déjà en 2007, les grandes agences de presse avaient réussi à s'adapter à un univers multimédia en proposant des services de nouvelles et d'informations sur Internet pour un accès direct aux clients, ainsi que des «forfaits  d'actualités» et d'informations pour les sites web des clients et les services de téléphonie mobile.. 

 

Oliver Boyd-Barrett avance également que l’arrivée des informations sur le web a aussi fait en sorte que de nombreux clients des agences, particulièrement les médias, ont réduit leur propre collecte d'informations internationales augmentant ainsi leur dépendance aux services des agences. 

 

En 2022, comme on le sait, l'accès aux informations sur n'importe quel événement dans n'importe quel coin du globe dans les minutes qui suivent les faits, continue d’être grandement facilité par les réseaux sociaux et Internet, lesquels définissent le monde de l’information et la manière dont nous consommons cette dernière. 

 

Les agences de presse internationales sont également confrontées à l'accessibilité de plus en plus importante des sources non négligeables de désinformation ainsi qu’à un contexte technologique changeant, notamment avec l’entrée en jeu de l'intelligence artificielle, de la Blockchain et de l’Internet des objets.

 

Ce sont là tous des éléments ayant pu alimenter la méfiance à l'égard des médias, de la politique et des institutions reconnues sur la planète. La période pandémique (2020-2022)  a été particulièrement éprouvante à l’égard de ce manque de confiance. 

 

Dans le cadre de son rapport de 2021, le Baromètre de confiance Edelman dit avoir constaté une épidémie de désinformation et une « méfiance généralisée à l'égard des institutions sociétales et des dirigeants du monde entier. » 

 

Selon cet index, quatre instances particulièrement concernées par le manque de confiance du public, à savoir les entreprises, les gouvernements, les ONG et les médias,  se retrouvent dans un contexte de « faillite de l'information » et doivent rétablir la confiance du public en traçant une nouvelle voie.

 

En 2022, ce même instrument de mesure de la confiance constate que 52 % des Canadiens affirment faire confiance aux médias, ce qui représente une diminution de deux points par rapport à 2021. Or, la confiance envers presque toutes les institutions a enregistré un recul draconien depuis mai 2020.

 

Par ailleurs, une étude majeure réalisée aux États-Unis en 2020 et 2021 par le Media Insight Project examine la question de la confiance sous l’angle des valeurs.

 

Cette collaboration entre l'American Press Institute et l'Associated Press-NORC Center for Public Affairs Research révèle que tous les Américains n'adhèrent pas universellement à plusieurs des valeurs fondamentales qui guident le travail journalistique. Et le malaise vis-à-vis de ces valeurs fondamentales du journalisme est davantage lié aux instincts moraux des gens qu'à la politique. 

 

Même son de cloche de la part d’un sondage mené en juin 2022 par Gallup auprès du public américain. 

 

En effet, selon cet échantillonnage, ce n’est que le 35% des Américains qui ont « beaucoup » ou « assez » de confiance envers les journaux. En ce qui concerne les nouvelles diffusées à la télévision le pourcentage diminue davantage n’atteignant que 20% de la population qui exprime leur faire confiance. 

 

Dans ce contexte, notre recherche propose une analyse des principaux défis auxquels font face aujourd’hui les agences de presse dans le monde, soit la perte de propriété intellectuelle, les pratiques des géants du web (GAFA), le développement de l’IA et 

de la Blockchain, la montée en force des Fake News et de la désinformation, la propagande en ligne, les coûts de plus en plus élevés à produire de l’information en temps réel dans 200 pays, les modèles d’affaires désuets, etc. 

 

Pour ce faire, notre «recherche qualitative de terrain» est basée sur l’ouvrage L'analyse qualitative en sciences humaines et sociales de Pierre Paillé et Alex Mucchielli (2016). Paillé décrit ce type d’étude comme une « recherche qui implique un contact personnel avec les sujets de la recherche ». 

 

Pour cet auteur, une recherche est qualitative lorsqu’elle répond à deux critères. Le premier concerne les instruments et les méthodes conçus pour recueillir des données qualitatives (témoignages, notes de terrain, images vidéo, etc.). Le deuxième critère va dans le sens que les données recueillies sont analysées de manière à en extraire le sens plutôt qu’à les transformer en statistiques. 

 

Notre recherche répond donc à ces deux caractéristiques. En ce qui concerne la méthodologie, nous avons consulté des dirigeants des quatre agences de presse internationales par le biais d’un questionnaire propre aux sciences humaines. Uniquement trois agences ont répondu : AFP, AP et Reuters.  

 

Nous faisons également l’analyse qualitative des données obtenues par l’entremise du questionnaire ci-haut mentionné sur la base de ce que propose le livre Analyse des données qualitatives de Matthew B. Miles et Michael Huberman (2003).  

 

Les pages suivantes sont structurées en fonction des observations qui émanent de la revue de littérature et des lectures que nous avons faites depuis le début de cette recherche en septembre 2021. Nos dernières lectures remontent à juillet 2022.

 

Nous abordons donc les sujets suivants : l’état de la situation par agence, la lutte à la désinformation, les défis économiques et l'adaptation technologique. 

 

 

Chapitre 2 : État de la situation par agence

 

D’après nos observations et lectures, trois éléments définissent le paysage actuel des agences de presse internationales : l’adaptabilité technologique, la diversification des contenus et services, ainsi que la capacité à prouver la pertinence de leur travail. Ces trois aspects semblent d’ailleurs être interconnectés. 

 

Il est clair pour nous que d'une part, les agences sont confrontées à l'évolution du paysage technologique et du rythme de production auxquels elles doivent s'adapter, et que d'autre part, elles doivent trouver un équilibre entre la perte de revenus, la perte de la fidélité du public et la concurrence que doivent affronter en raison des sources de désinformation. 

 

Voici un aperçu de chacune des quatre agences sur lesquelles porte cette recherche.  

 

2.1 Agence France-Presse

 

Fondée en 1835 sous le nom Havas, celle qu’on connaît aujourd’hui comme l’Agence France-Presse ou simplement AFP, est la plus ancienne des agences internationales. En 2021, 1 700 journalistes de l’AFP, dans 260 villes (151 pays) du monde, ont produit des contenus d’information en plusieurs formats et en six langues (français, anglais, espagnol, portugais, allemand, arabe). 

 

Cette même année, l’agence se vantait de compter sur un réseau mondial de 96 fact-checkers ayant écrit au cours de 2020 plus de 2 400 articles en 18 langues démontant les infox liées à la pandémie, entre autres. 

 

En ce qui concerne les finances, l’AFP a terminé l’année 2020 avec un résultat net (profits) établi à un niveau historique de 5,3 M€. Rappelons qu’en 2019, le résultat net avait été positif pour la première fois depuis 2013. 

 

En 2021, le chiffre d’affaires de l’AFP s’établissait à 309,5 M€. Le profit a atteint ainsi un autre niveau historique de 10,6 M€, soit deux fois plus qu’en 2020. 

 

Ce résultat net contribuera à résorber le niveau d’endettement de l’AFP, qui s’élève à 39,6 M€ contre 49,2M€ début 2018. L’objectif est d’apurer de moitié la dette d’ici fin 2024, et d’en avoir remboursé l’intégralité en 2028.

 

Les bons résultats financiers de l’AFP en 2021 peuvent aussi être attribués, du moins en partie, à la longue bataille qu’elle a menée pour obtenir rétribution de la part de Google pour la diffusion de ses contenus sur le moteur de recherche de ce géant du web. 

 

Pour mémoire, mentionnons qu’après deux ans de procédures judiciaires, le 11 novembre 2021, l'agence a signé un accord avec Google reconnaissant et rémunérant les droits voisins de l'AFP. 

 

Cette décision [de la Cour d’appel] a été le résultat d'une longue quête de reconnaissance de la valeur de l'information. -  Fabrice Fries

 

Selon le président-directeur général de l’AFP, les droits voisins permettront à l'AFP de « compenser une partie de la perte de revenus tirés de ses clients presse, affaiblis par le transfert massif des ressources publicitaires vers les plateformes. »

 

Fabrice Fries dit aussi espérer que, malgré la dureté de la bataille légale, une relation plus constructive avec Google puisse s'établir.

 

Pour sa part, en répondant à notre questionnaire, Sophie Huet, rédactrice en chef centrale de l’AFP, souligne que l'agence a été « l'un des fers de lance de la bataille » en Europe concernant les droits voisins pour faire en sorte que les plateformes rémunèrent l'utilisation des contenus produits par les médias dont elles tirent profit.

 

Mentionnons également que cette entente sur les droits voisins aura également des répercussions chez les journalistes de l’AFP. 

 

En effet, le 6 mai 2022, la Fédération internationale des journalistes a annoncé que, selon un accord formalisé entre l’AFP et des syndicats de journalistes français, il est entendu que chaque journaliste de cette agence recevra un montant annuel minimum de 275 euros brut. Ce montant correspondra, proportionnellement, à celui que l’AFP percevra en droits voisins. 

 

La directive de l'Union européenne de 2019 sur les droits d'auteur et les droits voisins dans le marché numérique, transposée en droit français, oblige les plateformes à négocier avec les éditeurs et agences de presse les contenus qu'elles reproduisent moyennant rémunération. Cette rémunération est due au titre de l'exploitation par les plateformes des droits voisins des éditeurs et agences sur les contenus. La directive stipule qu'une partie de cette rémunération doit être reversée aux journalistes.

L'accord est limité dans le temps et prendra fin le 31 décembre 2024, bien qu'il ne soit pas clair à partir de quelle date la compensation s'appliquera.  

Malgré cette entente signée avec Google, la plus ancienne agence de presse dans le monde n'est pas étrangère à la réalité courante de l'univers médiatique, ni aux actualités qui le définissent. 

Sophie Huet considère que parmi les défis qu’aura son agence à affronter dans un avenir rapproché, les principaux consisteront à répondre à « la crise que traversent les médias du monde entier » sous l'effet de la transition numérique et du désengagement des agences publicitaires pendant la pandémie. 

La rétention du personnel journalistique dans les diverses régions de la planète demeure également un enjeu important pour l’AFP. 

 

2.2. Reuters 

 

Force est de constater qu'un long chemin a été parcouru entre ce que l'agence Thomson Reuters est devenue aujourd’hui et le service lancé par Julius Reuter en 1850 avec ses pigeons voyageurs qui transportaient des nouvelles et des informations sur la bourse entre Bruxelles et Aix-la-Chapelle  en Allemagne.

 

Fondée à Londres, l’agence Reuters est aujourd’hui un fournisseur mondial d'information et d'actualités au service des professionnels des marchés financiers, des médias et des sociétés. 

 

Avant d'être rachetée par le groupe canadien Thomson Financial Corporation en 2008, Reuters était une société indépendante d'informations financières et d'actualités internationales.

 

Thomson Reuters Corporation est désormais le nom officiel de la compagnie née de cette fusion et, encore aujourd’hui, elle continue d’être une entreprise multinationale spécialisée dans les médias, les données financières et les actualités. Son siège social est à Toronto.

 

Certains analystes croient que, depuis sa fondation en tant qu’agence, le rôle de Reuters a toujours été officiellement défini comme « transnational » plutôt que national, provincial ou urbain. 

 

Le chercheur Gordon M. Winder, argumente que l’agence a été conçue et créée en tant qu’entreprise au service des entreprises (producer services enterprise) du XIXe siècle. 

 

Ce professeur en géographie économique et en développement durable de l’Université Louis-et-Maximilien de Munich, précise qu’à ce titre et depuis ses débuts, Reuters vend ses produits et services d’information à la communauté des affaires et aux gouvernements plutôt qu'à des particuliers ou à des ménages. 

 

Reuters fournit des informations politiques et commerciales à Fleet Street , la ville, Whitehall et Westminster et elle vendait des services de communication aux gouvernements, aux particuliers, aux organisations et aux entreprises. La globalité de ses services et de son réseau renvoie donc à la question du statut de Londres au XIXe siècle en tant que ville internationale. 

 

Pour sa part, Simon J. Potter explique qu’en 1900, Reuter comptait déjà quelque 260 bureaux et correspondants. 

 

Les nouvelles provenant des sources étaient, sauf dans les cas les plus urgents, compilées dans les bureaux des grands centres régionaux de Bombay, Le Cap, Melbourne et Shanghai, puis envoyées au siège de Londres par câble. 

 

C’est dans ces centres-là que les informations étaient éditées et télégraphiées aux journaux et aux abonnés britanniques, pour ensuite être renvoyées par câble aux bureaux de Reuter à l'étranger, où elles étaient rééditées pour consommation locale.

 

Aujourd’hui, environ 82 millions de personnes consultent plus de deux millions de contenus uniques par année produits par 2 900 journalistes dans 200 bureaux de Thomson Reuters à travers le monde. 

 

Dans son ensemble, la compagnie compte près de 25 000 employés dont 15 300  dans les Amériques, 5 100 en Asie Pacifique et 3 600 en Europe, Moyen-Orient et Afrique.

 

Des 25 000 employés, environ 6 200 sont directement impliqués dans la production des contenus d’actualité et «éditoriaux».  

 

Selon le magazine américain Forbes consacré aux affaires, en tant qu’employeur, Thomson Reuters occupe, en 2022, le 253e rang sur 300 parmi les meilleurs employeurs au Canada. 

 

L’entreprise occupe également la 344e place (sur 500) parmi les employeurs en ce qui concerne la diversité.

 

Toujours selon Forbes, voici d’autres positions selon les critères suivants : 

 

  • 122e sur 300 des meilleures entreprises au monde pour les femmes 2021
  • 288e sur 300 des meilleurs employeurs pour les femmes 2021
  • 231e sur 250 des entreprises les plus prisées au monde en 2018 en raison de leur fiabilité et leur performance.
  • 83e sur 100 des marques les plus valorisées au monde en 2016 (World's Most Valuable Brands). 

 

Toujours en rapport avec son personnel, en février 2022, le magazine Benefits Canada a rapporté que Reuters permet désormais aux employés de travailler depuis n'importe quel endroit dans leur pays de résidence pendant un maximum de huit semaines. 

 

Les salariés de Reuters peuvent également prendre jusqu'à 10 jours de congé payé en tant qu'aidants naturels, tandis que le congé de deuil a été porté à un maximum de 10 jours pour la perte d'un membre de la famille immédiate et de trois jours pour la perte d'un membre de la famille élargie.

 

Mary Alice Vuicic, responsable des ressources humaines chez Thomson Reuters, a déclaré aux médias que ces nouvelles offres répondent aux demandes de flexibilité accrue dans le contexte de la pandémie mondiale de coronavirus.

 

Questionnée dans le cadre de cette recherche, Gina Chua, ex-rédactrice en chef chez Reuters, croit que les défis que doivent relever les agences de presse à court terme consisteront à continuer de s’adapter au fur et à mesure que les technologies progressent et de travailler à rejoindre de nouveaux publics. 

 

En ce qui concerne ses finances, le 8 février 2022, Thomson Reuters a publié ses résultats pour le quatrième trimestre et l'année complète se terminant le 31 décembre 2021. Une croissance de 6 % du chiffre d'affaires total et des ventes pour le quatrième trimestre et l'année complète a été constatée. 

 

En effet, selon les normes internationales d'information financière, les revenus de Thomson Reuters pour l’année 2021 se situent en 1 milliard 710 millions de dollars américains. Pour l’année 2020 ce chiffre était de 1 milliard 616 millions, ce qui correspond à la variation de 6 % ci-haut mentionnée. 

  

Les dirigeants de l’entreprise ont signalé que ces résultats ont surpassé leurs attentes. 

 

"La dynamique observée au cours des neuf premiers mois de l'année s'est poursuivie au quatrième trimestre. La croissance des revenus et des ventes a de nouveau été forte et supérieure à nos prévisions, ce qui nous a permis de terminer l'année sur une base solide. Notre rendement a renforcé l'élan vers 2022, contribuant à accroître la confiance alors que nous travaillons à atteindre nos objectifs plus élevés pour 2022 et 2023" - Steve Hasker, président et directeur général  de Thomson Reuters.

 

Ces résultats représentent une augmentation des sommes versées à titre de revenus par une entreprise à ses actionnaires. Cette hausse se chiffre à 10 % par action pour l’année 2021, ce qui représente une 29e augmentation annuelle consécutive, la plus forte augmentation depuis 2008.

 

2.3 Associated Press

 

Fondée le 22 mai 1846, l’AP a célébré en 2022 ses 176 ans. 

 

Selon Michael Palmer , un peu de la même manière que les débuts de l’AFP et de Reuters ont été liés aux pigeons voyageurs, ceux de l’AP sont, quant à eux, souvent associés à une route express de poneys traversant l’Alabama.

 

En réalité, dit Palmer, le « pony express » n'a vraiment fonctionné que dans l'ouest des États-Unis en 1860-61, après que les réseaux télégraphiques et ferroviaires eurent unifié le transport des personnes, des marchandises et des messages à travers le pays. Pour ce spécialiste de l’histoire des agences, l’AP n’a vraiment rayonné qu’après que ces réseaux télégraphiques sont devenus pleinement actifs aux États-Unis.

 

Selon son plus récent rapport (2021), le réseau de cette agence inclut une présence dans 243 bureaux dans le monde, parmi lesquels on compte 10 pôles éditoriaux régionaux dans 96 pays. À l’échelle nationale, il y a au moins un journaliste parlementaire dans chacun des États américains. 

 

En ce qui concerne son chiffre d’affaires, il est important ici de mentionner que le dernier rapport financier publié par l’Associated Press date de 2017. 

 

Dans ce document rendu public en mars 2018 et accessible sur le site de l’AP, on a chiffré le revenu annuel à 510 millions de dollars des États-Unis pour 2017. Ce chiffre représente un recul par rapport à l’année 2016 dont le chiffre d’affaires correspondait à 556  millions $ US. 

Aujourd’hui, l'entreprise de données et d'analyses Dun & Bradstreet estime les revenus actuels de l'AP à 372.28 millions de $ US.

   

Par rapport au nombre d’employés, Craft, une entreprise de données sur les fournisseurs de services, évalue le nombre d’employés de l’AP à 3850. L’agence elle-même ne diffuse pas ces données sur son personnel. 

 

En ce qui concerne la diffusion des contenus produits, l’Associated Press avance que c’est plus de la moitié de la population mondiale qui «voit» ses productions. En moyenne en 2021, quatre milliards de personnes auraient eu accès aux informations de l'Associated Press chaque jour.

 

En plus de sa forte présence internationale, en particulier dans les Amériques, aujourd’hui, Associated Press démontre un intérêt tout particulier pour le développement et le renforcement du journalisme à l’échelle locale par le biais des nouvelles technologies, dont l’intelligence artificielle. 

 

En effet, en avril 2022, l’AP a publié un rapport qui montrait que dans plus de 200 salles de rédaction  locales à travers les États-Unis, il existe un écart important entre les grandes et les petites entreprises de presse en termes d'utilisation des technologies d'IA et d'automatisation. 

 

En réponse à un certain nombre des besoins soulignés dans le rapport, l’AP propose depuis mai 2022 un programme d'études en ligne gratuit, ouvert à tous les organes de presse américains, lequel comprend des ateliers virtuels en direct et des tutoriels enregistrés. Les médias internationaux peuvent aussi y accéder s’ils en font la demande. 

 

Il est important aussi de souligner que cet effort va de pair avec les efforts faits par l’agence à l’interne dans le but de mieux utiliser les nouvelles technologies dans la cueillette et le traitement de l’information. 

 

Ce nouveau programme fait aussi suite à une expérience initiée par l’AP en 2021 visant à solidifier un réseau de 130 salles des rédaction  dans plusieurs États américains appelée StoryShare. Ce projet de journalisme local a aidé les rédactions à partager rapidement des informations autour de la COVID lors des vagues les plus meurtrières de la pandémie de Covid-19. 

 

2.4 Bloomberg 

 

L’agence de presse internationale Bloomberg Business News a été fondée en 1990 par l’homme d’affaires et politicien Michael Bloomberg avec, comme rédacteur en chef, le journaliste Matthew Winkler.

 

L’agence est une branche du consortium Bloomberg LP (initialement nommé Innovative Market Systems). À l'origine, cette société vendait aux banques d'investissement de Wall Street des terminaux informatiques contenant des données financières sur les actions, les obligations et autres investissements. 

 

C’est justement à travers ces terminaux de la société maîtresse que l'agence de presse fraîchement créée fournissait les textes de nouvelles aux clients qui étaient aussi les clients du consortium. On est loin des pigeons et des poneys voyageurs qui ont alimenté le folklore autour des autres agences de presse internationales. 

 

Mais Bloomberg News n'est rien d'autre qu'une entreprise surprenante, non pas étrange (bien qu'il y ait un peu de cela) mais plutôt différente, singulière, complètement hors de l'ordinaire, dit la journaliste Jodi Enda dans un article de 2011.

 

A chaque fois, elle a défié les attentes. Considérez qu'elle [l’agence]a été fondée comme un moyen de fournir un contexte aux données de "The Bloomberg", un terminal innovant conçu pour fournir aux investisseurs des informations essentielles, fiables, à la minute près, qui les aideraient à gagner de l'argent. Pensez à que le terminal a été développé par un diplômé de Harvard qui venait juste d'être licencié de son poste d'associé dans une société de Wall Street. Considérez qu'une agence d'information qui a commencé il y a juste 21 ans avec un jeune rédacteur en chef à l'affût du marché et une poignée de journalistes relativement inexpérimentés est devenue un mastodonte qui emploie 2 300 journalistes dans 146 bureaux et 72 pays.

 

En 2019, les informations factuelles présentées par Enda avaient quelque peu changé, mais pas beaucoup. Cette année-là, l’agence de nouvelles économiques comptait 167 bureaux dans plusieurs régions du monde, dont l’Amérique du Nord, mais aussi dans plus de 70 autres pays du monde. 

 

Bien que son siège social soit toujours à New York, Bloomberg Business News a ouvert en 1991 des bureaux aussi à Washington, Londres, Tokyo, Toronto et dans le New Jersey. Entre 1994 et 1996, l’agence a ajouté Bloomberg Television, une chaîne d'informations économiques, puis un magazine d'investissement appelé Bloomberg Personal, et finalement Bloomberg Press, une maison d’édition publiant des livres sur l'investissement, l'économie et les affaires courantes. En 2009, la société a acquis le magazine BusinessWeek (rebaptisé Bloomberg BusinessWeek). 

 

Selon l’agence, plus de 5 000 contenus produits quotidiennement par les journalistes de Bloomberg News sont lus par plus de 325 000 abonnés du « Terminal », lesquels sont parmi « les personnes les plus influentes du monde des affaires et de la finance. »

 

Les articles sont également diffusés sur le web, les mobiles, la télévision, la vidéo numérique, la radio, la presse écrite et les plateformes d'événements en direct de Bloomberg, et sont repris par plus de 440 publications dans le monde.

 

Trente-deux ans après la fondation de son agence, Michael Bloomberg en est toujours le propriétaire avec 88% des actions. L’autre 12% appartient à Bank of America, à travers Merrill Lynch, une société américaine de services financiers. 

 

Michael Bloomberg est en 2022, la douzième personne la plus riche au monde selon le magazine économique Forbes. Sa fortune s'est accrue de manière vertigineuse depuis les années 2010 ; elle s'élevait à 18 milliards de dollars US en 2013, puis à 50 milliards en 2018 pour enfin atteindre 82 milliards en 2022.

 

 

Chapitre 3. Défis économiques et adaptation technologique 

 

L’étude Journalism, media, and technology trends and predictions 2022, conclut que le paysage médiatique mondial poursuivra sa tendance à aller vers des changements technologiques profonds dans le contexte d’une pandémie prolongée de COVID-19 qui a été à la fois perturbatrice et stimulante. 

 

Les observations analytiques et les sondages menés dans le cadre de la recherche ci-haut mentionnée de l'Institut Reuters de journalisme, en collaboration avec l'Université d'Oxford, se concentrent sur les diffuseurs des informations plus que sur les courtiers en actualités, telles les agences de presse. Ses principales conclusions peuvent être aussi valables pour les agences de presse. 

 

De manière générale, la recherche menée par Nic Newman conclut qu’en tant qu'entreprises, les médias vont accélérer leur transformation numérique tout en préservant un équilibre financier. La tarification des informations en ligne semble se définir comme un objectif ultime pour beaucoup, même si, selon M. Newman, il ne faille pas s'attendre à ce que le public réagisse favorablement et suive les tendances en matière d'abonnement, et ce, surtout si la situation économique des ménages se dégrade en 2022. 

 

Ce contexte fait en sorte que les agences soient mises au défi par les géants du web qui « republient leurs nouvelles souvent sans redevances » tout en « amenant les journalistes à produire davantage dans un contexte de multitâches » (White, 2019). 

Ce paysage médiatique d’une part oblige les agences à évoluer au même rythme que la technologie et les publics et, d’autre part, à trouver de nouvelles sources de financement qui leur permettent de garder ce cap technologique.  Leur objectif ultime étant celui de continuer d’être pertinents pour les clients qui achètent leurs contenus.

 

3.1 Défis économiques 

 

Au XIXe siècle, les informations ont été parmi les premiers produits médiatiques à être commercialisés dans le cadre du commerce international. En effet, c’est la demande d'informations internationales qui a permis aux agences de presse de devenir des grossistes en informations et de vivre de la vente de celles-ci. 

 

Comme on le sait, ce sont les trois agences de presse transnationales, l'Associated Press (AP), Reuters et l'Agence France-Presse (AFP), qui ont dominé cette activité depuis lors. Par contre, en 2022, le panorama a beaucoup changé. 

 

En effet, aujourd'hui, alors qu'un nombre croissant de personnes se tournent vers les agrégateurs numériques pour s'informer, les agences de presse doivent souvent permettre à Google (qui domine environ 92 % du marché mondial de la recherche) ainsi qu'à Facebook et Instagram (qui contrôlent ensemble environ 81 % du marché mondial des réseaux sociaux) de partager leur contenu pour rester pertinents. 

 

Caitlin Chin, du Programme des technologies stratégiques du Center for Strategic and International Studies, explique qu’en publiant des résumés et des citations d'articles d'actualité, Google et Meta peuvent susciter la conversation des utilisateurs au sein de leurs plateformes sans même qu'ils aient à cliquer sur le site web de l'éditeur. 

 

Par conséquent, dit Chin, les salles de rédaction sont en concurrence avec les plateformes numériques pour le même pot de publicité. Cependant, Google et Meta gagnent cette bataille puisqu’ils ont un accès presque inégalé aux informations personnelles des utilisateurs, ce qui leur permet de cibler les publicités de manière plus granulaire que dans les journaux traditionnels.

 

En ce qui concerne les revenus de 2021, Google et Meta ont respectivement rapporté 209,5 milliards et 114,9 milliards de dollars en recettes publicitaires mondiales, ce qui représente une croissance substantielle par rapport aux 36,4 milliards et 3,2 milliards de dollars environ enregistrés 10 ans auparavant. 

 

En même temps, de nombreux organes de presse ont connu la tendance inverse : le Pew Research Center estime que les recettes publicitaires des journaux américains cotés en bourse sont passées de 27,1 milliards de dollars en 2011 à 9,6 milliards de dollars en 2020, tandis que les abonnements aux journaux imprimés et numériques, le temps passé sur les sites web d'information américains et le nombre d'employés des salles de rédaction américaines ont simultanément diminué.

 

Dans ce contexte mondial, les agences de presse internationales n’ont pas été épargnées. Le Reuters Institute for the Study of Journalism conclut qu’après une période où les revenus de la publicité numérique ont fui vers les géants des plateformes numériques, les producteurs de contenus journalistiques à travers le monde ont l'occasion en 2022 d'obtenir de meilleurs résultats. 

Le rapport Journalism, media, and technology trends and predictions 2022 du Digital News Project de Reuters avance que trois quarts (75 %) de l’échantillon de 246 rédacteurs en chef, de PDG et de responsables du numérique des médias participants se disent confiants quant aux perspectives de leur entreprise pour 2022. 

Par rapport à 2021, davantage d'éditeurs prévoient mettre en place des stratégies d'abonnement ou d'adhésion cette année, la majorité d’entre eux, soit 79 %,  affirmant qu'il s'agirait de l'une de leurs principales priorités en matière de revenus, et ce, devant l'affichage et la publicité intégrée dans leurs contenus. 

 

Ces dernières années, de nombreux éditeurs ont redoublé d'efforts pour amener leur public à payer le contenu en ligne par le biais d'un abonnement, d'une adhésion ou de dons, afin de réduire leur dépendance à l'égard des recettes publicitaires qui, en ligne, tendent à aller vers les grandes plateformes telles que Google et Meta [...] Ces tendances sont désormais mondiales, et nos pages par pays montrent comment des éditeurs de premier plan en Argentine, en Colombie, au Japon, au Nigeria et au Kenya, par exemple, ont récemment lancé ou consolidé des systèmes de paiement.

 

Cependant, près de la moitié des responsables des médias interrogés (47 %) craignent que les modèles d'abonnement ne poussent le journalisme à privilégier les publics plus riches et plus éduqués, au détriment des autres.

 

Pour ce qui est des sources de revenus, en moyenne trois ou quatre ont été citées par les rédacteurs en chef, PDG et responsables du numérique participants. Il s’agit ici de revenus « importants » provenant des plateformes technologiques pour les licences de contenu, l'innovation et les fonds philanthropiques et les fondations. Ces deux dernières ont des revenus en hausse par rapport à l'année dernière. 

 

Comme mentionné dans le chapitre 2 sur l’état de la situation par agence, la signature de l’entente entre l’AFP et Google a marqué un moment charnière dans la relation entre les producteurs de contenus d’information et les géants du web. 

 

En répondant à notre questionnaire, Sophie Huet, rédactrice en chef centrale de l’AFP, souligne que l'agence a été l'un des «fers de lance » de la «longue bataille» en Europe sur les droits voisins qui a abouti à l'adoption d’une norme européenne et à sa transposition ultérieure dans la législation française.

« [Ces derniers] port[e]nt sur la formation à la vérification de l’information en ligne de journalistes et étudiants en journalisme du monde entier, ainsi que sur la production de "stories" sur l'actualité publiables sur des smartphones. »

En ce qui concerne les géants du numérique, de manière plus générale, Sophie Huet rend compte du fait que leur arrivée dans l’univers des médias a « contraint l'AFP à accélérer sa transformation pour répondre à de nouveaux enjeux. »

La rédactrice en chef centrale de l’AFP explique que les GAFA ont propulsé de nouvelles formes de production des contenus au sein de l’agence, et ce, tout en tirant profit de son réseau mondial et de son expertise historique en ce qui concerne la vérification de l'information et de production et en accordant une forte importance « à la place de l'image. »

Par ailleurs, dit Sophie Huot, l’AFP va négocier avec d’autres plateformes l’application de la nouvelle législation qui leur impose de traiter avec les éditeurs et les agences de presse pour obtenir une rémunération en échange des contenus qu'elles reproduisent.

 

Le cas de l’Agence France-Presse est tout particulier parmi les quatre agences auxquelles cette recherche s’intéresse. Son entente avec Google crée un précédent et donne à l’agence un certain contrôle sur ses droits d’auteur et les droits de diffusion de ses contenus. 

 

Cependant, les autres agences n'ayant pas gagné [ou même commencé] leurs batailles, elles devront arriver à leurs propres ententes ou encore à s’adapter selon leurs propres contextes dans un univers médiatique hautement compétitif. 

 

À la question à savoir si son agence est favorable à des redevances des GAFA pour financer les médias,  Gina Chua, rédactrice en chef chez Reuters jusqu’en avril 2022, répond que l'importance du journalisme de qualité et l'engagement envers celui-ci n'ont jamais été aussi fort.

 

Pour cette spécialiste de l’information ayant travaillé au sein de Thomson Reuters pendant 12 ans, il est essentiel de reconnaître la valeur de l'excellent travail qui est accompli par les journalistes. Cependant, la manière dont cette valeur doit être reconnue relève d’une question plus complexe qui a fait l'objet de nombreuses études, selon ce que Gina Chua explique sans nommer lesdites études.  

À notre avis, il est essentiel de mentionner ici que le consortium Thomson Reuters, dont fait partie l’agence de presse Reuters, jouit d’une situation financière particulièrement aisée si l’on se fie aux analyses de certains experts. 

 

Par exemple, sur le site d’information pour investisseurs Simply Wall St., on explique que Thomson Reuters a un rendement des capitaux propres (return on equity ou ROE) de 41% ce qui est remarquablement plus élevé que la moyenne du secteur qui est de 15 %. 

Par conséquent, la croissance exceptionnelle de 58 % du bénéfice net de Thomson Reuters au cours des cinq dernières années n'est pas une surprise.

 

Le groupe d’analystes de Simply Wall St. dit qu’après avoir comparé la croissance du revenu net de Thomson Reuters avec celle du secteur, il a constaté que le chiffre de croissance de la société était plus élevé que celui du secteur pour la même période.

 

En conclusion, de manière générale, ce fournisseur des rapports sur les actions en bourse donne une note de 5/6 à la santé financière de Thomson Reuters avec un petit bémol sur le long terme. 

 

Cependant, cette constatation a-t-elle un effet direct sur l’agence de presse comme telle ? Nous ne sommes pas en mesure de l’affirmer avec certitude. Par contre, nous avons pu constater qu’elle cherche des moyens de générer des profits tout en épargnant de l’argent. 

Par exemple, à l’automne 2021, Cameran Harman, responsable des partenaires stratégiques pour Meta (Facebook Journalism Project), faisait état du fait que Reuters s'appuie sur la fonctionnalité Instant Articles de Facebook pour soutenir sa croissance commerciale et d'audience. 

 

Selon Harman, Reuters a exprimé à Facebook (Meta) son souhait d’augmenter « le nombre de pages vues, la monétisation, l'audience organique et la portée globale » de son contenu. Pour répondre à ces besoins, l’agence a commencé à  se servir de la fonctionnalité Facebook Instant Articles, un format original qui, selon l’auteur Cameran Harman, permet un chargement plus rapide, une pertinence accrue du fil d'actualité et une expérience de lecture fluide sur mobile.

 

Cité dans l’article de Harman, Pierpaolo Maniglio, directeur de la croissance stratégique chez Reuters dit qu’une partie importante du contenu le plus performant de l’agence sur Facebook concerne les informations pures et dures et les nouvelles de dernière minute. 

« Nous voulions comprendre si la transition du trafic de référence du web mobile vers Instant Articles aurait un avantage commercial incrémental sur notre couverture des nouvelles de dernière heure. [...] Les résultats ont été véritablement supérieurs à nos attentes initiales. »  Pierpaolo Maniglio, directeur de la croissance stratégique chez Reuters

Selon les informations contenues dans l’article de Cameran Harman, la portée globale du contenu de Reuters sur Facebook a constamment augmenté après le lancement d'Instant Articles, ce qui aurait créé une croissance incrémentielle des revenus.

« Les résultats ont été plus de 2,5 fois supérieurs à nos attentes initiales, atteignant l'objectif interne de diffusion sur 12 mois que nous avions fixé en moins de 90 jours. En comparant la portée moyenne des publications de liens similaires, nous avons observé qu'au premier semestre 2021, le KPI des articles ouverts est 120% plus élevé par rapport à la période précédente ». - Pierpaolo Maniglio, directeur de la croissance stratégique chez Reuters

Les articles de Reuters sur la fonctionnalité Instant Articles de Facebook ont commencé à apparaître à la fin du mois d’août 2020. Ceci montre, à notre avis, une nouvelle forme de collaboration entre un géant du web et une agence de presse internationale. 

Pour ce qui est de la relation de l’AP avec les GAFAM, quand on demande à Jim Kennedy, vice-président responsable de la stratégie chez AP, si son agence est favorable ou non à des redevances des GAFA pour financer les médias, il répond dans notre questionnaire que son agence estime que tous les fournisseurs d'informations doivent être rémunérés équitablement pour le contenu et les services qu'ils produisent. 

En ce qui concerne Bloomberg, comme l'expliquait la journaliste Jodi Enda en 2011, plutôt que de décroître comme tant d’autres médias, Bloomberg se lance constamment dans de nouvelles aventures d’affaires. 

 

Bloomberg Government, par exemple, est destiné aux décideurs, aux politiciens et aux lobbyistes de Washington. Bloomberg Law, par ailleurs, s'adresse aux avocats. Bloomberg View, se spécialise dans la chronique d'opinions. Ce sont tous là des exemples de sites web d’information qui témoignent de l’expansion de Bloomberg et de sa volonté de s’intéresser aux personnes les plus riches et les plus influentes du monde. 

 

Nos systèmes connectent les gens d'une manière et à une vitesse que personne d'autre ne peut atteindre, en traitant quotidiennement 100 milliards de messages de données de marché, deux millions de nouvelles et plus d'un milliard de messages électroniques et instantanés. Et nous construisons l'infrastructure globale - matériel, applications, réseau et interfaces - dont nos clients ont besoin pour transformer toutes ces informations en actions. Il s'agit d'un travail essentiel qui nécessite une technologie de pointe, développée et mise en œuvre par une équipe dévouée de plus de 6 000 technologues, composée d'ingénieurs, de professionnels de l'interface utilisateur et de spécialistes des données.

 

Par ailleurs, ce n’est pas un secret que la situation financière de la compagnie mère de l’agence de presse soit très florissante. 

 

Déjà en 2011, le journaliste Greg MacSweeney expliquait que depuis que Michael Bloomberg a fondé sa compagnie en 1981 en utilisant ses 10 millions de dollars d'indemnités de licenciement de Salomon Brothers, son entreprise a conquis environ un tiers du marché de plusieurs milliards de dollars pour la diffusion de données financières, d'informations et d'outils/applications destinés aux professionnels de la finance. 

Le directeur éditorial d'InformationWeek Financial Services, soutient également que la compagnie enregistre un chiffre d'affaires annuel de près de 7 milliards de dollars, dont 85 % proviennent du service de «terminal» Bloomberg Professional. 

 

Cela ne veut pas dire que Bloomberg s'en remet à sa technologie d'origine, mais plutôt que la société est, pardonnez l'expression, une machine à lancer de nouveaux produits et à générer des revenus.

 

Bien que ce soit difficile d'obtenir des détails sur les finances de Bloomberg en raison de son statut de compagnie privée, son chiffre d’affaires est évalué à 10 milliards de US $ en 2018, si l'on se fie à un rapport de Business Insider. 

 

Par ailleurs, Bloomberg L.P., la maison mère de Bloomberg Business News, a acquis au fil des ans une variété de concurrents dans différents secteurs, notamment dans les médias (la station de radio new-yorkaise WNEW et le magazine BusinessWeek), dans les sociétés de données (New Energy Finance) et même dans les entités gouvernementales et juridiques (Bureau of National Affairs).

 

Et comme l’explique Ian Silvera, Bloomberg a récemment pris la décision quelque peu courageuse de lancer sa propre filiale de nouvelles au Royaume-Uni sous le nom de Bloomberg UK afin de concurrencer les médias britanniques.

 

Selon cet ancien reporter économique et politique devenu directeur de la communication de Future News & Web3 Media, Londres est devenue un banc d'essai pour le type de plans d'expansion internationale que Bloomberg est en train de mettre en œuvre.

Au Royaume-Uni, Bloomberg vise à générer 100 millions de US $ de revenus annuels sans pour autant donner une date précise pour atteindre l’objectif, dit Silvera. 

 

Scott Havens, directeur général de Bloomberg Media, a d’ailleurs révélé au New York Times que le public cible de cette nouvelle aventure médiatique se situerait dans « l'espace professionnel et aisé », ce qui, selon Silvera, mettra « sans doute»  en garde d'autres médias, dont le Times, le Telegraph, le Spectator, le New Statesman et The Economist. 

 

3.1.1 Défis technologiques 

Comme on le sait, les agences de presse sont des grossistes en information internationale qui alimentent les médias du monde entier de même que les marchés financiers, les gouvernements et les entreprises (White, 1997).  

 

Lorsque nous les avons questionnés individuellement, Sophie Huet, rédactrice en chef centrale à l’AFP, Gina Chua, alors rédactrice en chef chez Reuters, et Jim Kennedy, vice-président principal chargé de la stratégie à l’AP, ils ont tous les trois évoqué les transformations numériques comme étant l’un des principaux défis que leurs agences doivent relever à court terme. 

 

Sophie Huet considère que l’AFP doit adapter son modèle (et l’organisation tout entière) à la transformation numérique « en produisant des contenus pertinents par leur format et leur contenu et en s’orientant vers les besoins des grandes plateformes (vérification de l'information notamment) qui captent une part croissante des revenus publicitaires. » 

 

En s’adaptant aux changements technologiques, l’Agence France-Presse peut affronter la crise qui « frappe les médias du monde entier », ses clients, croit Mme Huet. 

 

Par ailleurs, c’est en offrant « une information fiable, multimédia et originale, issue du terrain », que l’AFP peut soutenir ses clients, les médias. 

 

Pour Gina Chua de Reuters, les défis des agences de presse à court terme consistent à continuer de s'adapter et de se moderniser au fur et à mesure que les technologies progressent et ainsi continuer d’atteindre de nouveaux publics.  

 

Par ailleurs, pour Jim Kennedy de AP, les agences de presse sont confrontées aux impératifs de la transformation numérique et de l'innovation à un moment où la croissance des revenus est difficile et où l'accès aux technologies innovantes nécessite des investissements importants.  

 

3.1.2 Comment les agences de presse internationales abordent-elles ces impératifs numériques ainsi que la pression que les GAFAM exercent sur leurs opérations ? 

 

Tout en reconnaissant que Google, Amazon, Facebook et Apple sont une partie substantielle de l'écosystème numérique, Gina Chua admet que Reuters s'associe à ces plateformes de diverses manières pour étendre la valeur des informations de Reuters aux publics du monde entier.

 

Cependant, dit-elle, les clients de son agence de presse sont également affectés par la domination des plateformes technologiques, ce qui entraîne un effet double sur Reuters.

 

Jim Kennedy de l’AP explique pour sa part que les géants de la technologie sont devenus les lieux dominants de distribution et de consommation de l'information et ont absorbé la plupart des revenus publicitaires qui soutenaient autrefois le secteur de l'information. 

 

À son avis également, l’effet sur son agence est double puisque la domination des GAFAM impacte ses clients du secteur des médias et, indirectement, ses activités en tant que fournisseur de ces plateformes de distribution également. 

 

3.2 Nouveaux défis, nouvelles technologies

 

L’évolution technologique et les contraintes financières influencent également la manière de produire et de distribuer l’information des agences de presse. 

 

En 2022, l’intelligence artificielle (IA) et la technologie de chaîne des blocs , mieux connu comme la Blockchain, représentent pour les agences des moyens à la fois pour lutter contre la désinformation et pour offrir une plus grande agilité dans la production et la distribution de leurs informations vérifiées. Sans oublier des possibilités de micropaiements avec la Blockchain et la monétisation d’archives sous forme de NFT (non fungible tokens).

 

Pour référence, rappelons simplement que la Blockchain est une technologie permettant de stocker et de transmettre des informations inaltérables. L’Office québécoise de la langue française la décrit comme une « base de données distribuée et sécurisée, dans laquelle sont stockées chronologiquement, sous forme de blocs liés les uns aux autres, les transactions successives effectuées entre ses utilisateurs depuis sa création. »

 

Les blockchains sont surtout connues pour le rôle crucial qu'elles jouent dans les systèmes de crypto-monnaies, comme le bitcoin, pour maintenir un enregistrement sécurisé et décentralisé des transactions, dit Adam Hayes. Selon ce sociologue et économiste, une blockchain est la base des « registres immuables, ou des enregistrements de transactions qui ne peuvent être modifiés, supprimés ou détruits. C'est pourquoi les blockchains sont également connues sous le nom de technologie distributed ledger technology (DLT). 

 

S'exprimant sur le potentiel que possède la blockchain pour rendre le journalisme plus crédible, Saul Hudson, associé directeur de la société de communication stratégique Angle42 et ancien directeur général des Amériques chez Reuters, a déclaré à Cointelegraph :

 

 « Trop souvent, les publications se contentent de remplacer un article en ligne en mettant à jour des informations qui corrigent une erreur dans une version précédente, sans que ce qui a été modifié soit évident. L'exactitude est l'élément vital d'une organisation médiatique. Cela peut sembler contre-intuitif, mais être transparent sur les erreurs factuelles est un moyen de gagner la confiance du public. »

 

Le journaliste spécialiste en crypto-monnaies Shiraz Jagati croit pour sa part que la blockchain pourrait potentiellement obliger les journalistes à respecter des normes éditoriales strictes, en grande partie grâce au principe opérationnel de base de la technologie (non modifiable), ancré dans les principes de transparence.

 

« Par exemple, l'aspect inviolable de la plupart des systèmes blockchain peut aider à établir une norme de transparence qui sera nécessaire pour prouver l'authenticité de toute image utilisée dans les reportages ainsi que pour combattre des problèmes tels que les "vidéos deepfakes". »

 

Shiraz considère également que les systèmes de Blockchain peuvent aussi aider à établir des liens clairs entre divers articles d'actualité en créant une base de données immuable des articles qui ont été publiés par divers médias en relation avec un sujet particulier depuis sa diffusion initiale.

 

Dans la pratique, l’intelligence artificielle (IA) peut aussi être une arme de lutte contre la désinformation. 

 

À l’AFP, l’équipe de vérificateurs de faits se sert d’un module d’extension (plug-in) appelé InVID-WeWerify qui fait des vérifications par le biais de l'apprentissage artificiel (machine learning).  

 

Lancé en 2017 et mis au point par le Medialab de l’agence, ce module « permet notamment de vérifier des altérations sur des vidéos en fragmentant ces vidéos en vignettes (key frames) », nous a expliqué Sophie Huet. 

 

Ce même outil permet aussi de vérifier des photos à l’aide de filtres dits “forensic” dont certains sont basés sur l’IA. Enfin, il permet une reconnaissance optique des caractères (OCR), améliorée avec du Machine learning, qui permet de reconnaître toutes les langues latines (et notamment aussi les écritures manuscrites).

 

Selon Mme Huet, InVID-We Verify est utilisé par plus de 120 vérificateurs de faits de l’AFP et, puisqu’il est disponible en code source ouvert (open source),  on évalue à 57 000 le nombre d’utilisateurs externes hebdomadaires dans 202 pays. 

Par ailleurs, il y a actuellement à l’essai un autre prototype capable de reconnaître des caractères non latins, notamment en russe, en arabe, en chinois et en hindi, explique Sophie Huet. 

L’AFP compte également sur son propre outil de transcription automatique disponible dans une vingtaine de langues. Le AFP Transcriber, qui fonctionne aussi par reconnaissance vocale à l’aide de l’intelligence artificielle, a également été développé par le Medialab de l’agence, de concert avec la société Vocapia. 

L’AFP Transcriber est utilisé en interne par plus de 800 journalistes et il est disponible dans une vingtaine de langues, bien qu’il soit principalement utilisé en français, en espagnol et en anglais, note Mme Huet. 

Par ailleurs, au sein de l’AFP il y a aussi le service photo qui, à l'aide d’un outil d’IA de reconnaissance des objets et des visages, travaille à « améliorer l’indexation » des photographies de l’agence. Cet outil commence à être utilisé pour la reconnaissance des personnalités connues. 

« Expérimenté sur le Festival de Cannes en 2019 puis l’Euro 2020, Camino améliore la qualité de l’indexation et s’avère être un gain de temps pour les éditeurs. Cet outil d’aide à la décision nécessite néanmoins un travail préparatoire de modélisation et l’administration de dictionnaires tout au long de l’évènement. »

L’IA doit aussi faciliter l’indexation des dépêches, croit Mme Huet, car cette tâche est aussi importante que rébarbative pour la rédaction. 

Sophie Huet avance également que l’AFP envisage d’intégrer Kairntech à tout son réseau de rédaction interne, considérant que, avec l’IA, cette plateforme d'analyse de documents crée des ensembles de données qui pourraient leur être utiles.

Ceci permettra, dit Mme Huet, de faciliter la catégorisation des contenus dans les six langues de travail de l’agence et l’identification des noms de lieux, de personnes ou d’organisations à des fins d’indexation après validation par les éditeurs.

« Toutes ces avancées et expérimentations voient le jour par les biais des collaborations avec diverses instances de recherche dont l'institut de recherches Polis à la London School of Economics (LSE), ou encore l’Université de Vancouver pour tester nos contenus par le Gender Gap Tracker mis au point par cette université pour analyser le poids respectif des sources féminines et masculines dans nos contenus anglophones. »

Des recherches collaboratives entre l’AFP et l’Université de Grenoble sont aussi en cours de réalisation. Celles-ci sont basées sur l'application des techniques de traitement du langage naturel (NLP, TLN ou TALN) pour l'analyse des dépêches en français. 

Par ailleurs, la rédactrice en chef centrale chez l’AFP explique qu'en 2021 le service Infographie et Innovation poursuit ses expérimentations sur la NLP dans le cadre d’un nouveau partenariat avec The Guardian, sur un projet d'extraction automatique des citations des contenus de l’agence. 

L'intérêt d'un tel outil serait de pouvoir restreindre la recherche aux citations « entre guillemets » d'une personnalité donnée, de limiter donc les résultats et d'aller beaucoup plus vite dans la récupération d'éléments de contexte pour la documentation ou pour le vérification des faits, ce qui permettrait par exemple de vérifier rapidement des changements dans les déclarations d'une personnalité sur un sujet donné. 

 

Les équipes de journalistes de données de l’AFP ont eu recours à des systèmes d’automatisation pour la génération automatique de dépêches, de vidéos et d’infographies, en particulier ces deux dernières années, sur les données relatives à la Covid-19. Cependant, explique Sophie Huot, ces systèmes n’ont pas été conçus à l’aide de l’IA. 

 

Les journalistes de l’AFP utilisent également en cette année 2022 la reconnaissance faciale d’une autre jeune pousse (start up) française, Newsbridge. Cette fonctionnalité leur permet d’archiver automatiquement les diffusions en direct de l’agence ainsi que de faire une sélection des nouvelles de dernière heure. Il est possible par la suite de les mettre à disposition des médias (clients) après avoir été indexés automatiquement et rapidement.

 

En ce qui concerne Reuters, son ancienne directrice générale Gina Chua a répondu à notre question sur le sujet en rendant compte du service Lynx Insight que l’agence a développé en 2018 dans le cadre de son initiative de « salle de rédaction cybernétique ». 

 

Selon elle, ce projet vise à « marier le meilleur des capacités des machines et du jugement humain pour favoriser un meilleur journalisme ». 

 

Le service Lynx Insight examine d’importantes quantités de données et en identifie des tendances, des anomalies, des faits clés. À partir de cette analyse, ce service d’intelligence artificielle suggère aux reporters des sujets à couvrir, notamment autour des rapports de résultats et des données sportives. 

 

« La plateforme utilise le dépouillement automatisé de données à grande échelle, ainsi que des algorithmes programmés par les journalistes de Reuters, afin d'aller au-delà du simple reportage de routine pour proposer proactivement des angles nouveaux, fondés sur des données, que le personnel de Reuters peut approfondir. » - Gina Chua

 

L’ancienne directrice générale explique que le Reuters News Tracer™constitue une autre utilisation de l’intelligence artificielle dans les salles des nouvelles de Reuters.

 

Gina Chua affirme que cet outil permet aux journalistes de repérer et de valider de vraies nouvelles en temps réel sur Twitter. 

 

« Reuters News Tracer utilise la puissance de l'informatique cognitive et de l'apprentissage automatique (machine learning) pour extraire et valider des informations relatives à des événements potentiellement dignes d'intérêt dans l'immense flux diffusé sur les médias sociaux. »

 

Il est à noter que la corporation Thomson Reuters affirme se servir de l’intelligence artificielle pour offrir des services à ses clients depuis une trentaine d’années, et ce, de manière plus générale au-delà des applications dans les salles de rédaction.

 

Sur le site corporatif de Thomson Reuters, on explique que c’est depuis le début des années 1990 que l'entreprise intègre l'IA et l'apprentissage automatique dans sa stratégie de création et de transmission des contenus juridiques, fiscaux, d'actualités ou des affaires.

 

En effet, les équipes de recherche et développement de Thomson Reuters ont mis au point une demi-douzaine de produits technologiques basés sur l’IA pour offrir des données sélectionnées et triées aux clients, des milieux légal et fiscal en particulier.

 

Toujours selon le site corporatif, les laboratoires Thomson Reuters Labs se spécialisent dans la recherche appliquée axée sur l'exploration des technologies de traitement du langage naturel (NLP), de l’IA centrée sur l'humain (HCAI), de l’intelligence artificielle DevOps. Son outil ModelOps, combine l'IA et les opérations informatiques « dans le but de raccourcir le cycle de vie de l'IA ». 

 

L'agence Associated Press, pour sa part, se vante d’avoir été l'un des premiers organismes de presse à tirer parti de l'intelligence artificielle et de l'automatisation pour renforcer son activité journalistique. 

 

En effet, le site corporatif de l’AP mentionne que son incursion dans le domaine de l'intelligence artificielle a commencé en 2014, lorsque son bureau des actualités économiques a entrepris d’automatiser les articles sur les résultats des entreprises. 

 

Avant d'utiliser l'IA, nos rédacteurs et reporters consacraient d'innombrables ressources à des reportages importants, mais répétitifs et, surtout, détournés du journalisme à plus fort impact. C'est ce projet qui nous a permis d'expérimenter de nouveaux projets et d'établir un leadership éclairé alors que de plus en plus d'organismes de presse cherchent à adopter eux-mêmes cette technologie.

 

Aujourd'hui, nous utilisons l'apprentissage automatique à des points clés de notre chaîne de valeur, notamment pour la collecte, la production et la distribution des informations. 

 

En réponse à notre sondage sur le sujet, Jim Kennedy a expliqué que dans les salles de nouvelles les journalistes de l’Associated Press se servent des technologies d'IA à diverses fins. La détection des nouvelles de dernière minute, l'analyse des tendances sur les réseaux sociaux, la création de contenu automatisé, la transcription et la traduction automatisées, le marquage des métadonnées et la reconnaissance des images figurent parmi quelques-unes des utilisations. 

 

En effet, sur son site corporatif, on peut lire que l’AP utilise des outils de la technologie IA pour la collecte des informations, la production et la distribution des nouvelles. 

 

Pour la collecte spécifiquement, l’AP travaille avec de jeunes entreprises partenaires afin de scanner et d’analyser les flux de médias sociaux en recourant à un traitement du langage naturel pour arriver à construire son propre outil interne apte à vérifier plus rapidement le contenu social et celui généré par les utilisateurs. 

 

En effet, à notre question concernant l'existence d’une équipe recherche et développement (R&D) au sein de son média, le vice-président pour la stratégie à l’AP a répondu que l’agence travaille avec plusieurs partenaires technologiques qui leur fournissent des solutions d'IA. Il ajoute également être constamment à l'affût de nouvelles capacités innovantes. 

 

Par ailleurs, l’AP dispose d'un groupe de travail interne qui , tout en explorant l'espace de l'IA, constitue un pipeline d'opportunités potentielles.

 

Pour ce qui est de la production d'informations, l’agence vise à « rationaliser les flux de travail » pour permettre aux journalistes de se concentrer sur le contenu, plutôt que sur des choses superflues. 

 

Cela va de la transcription automatique des vidéos à l'expérimentation de la génération automatique de listes de plans vidéo et de résumés d'articles. Nous automatisons également actuellement les reportages dans les domaines des sports et des entreprises. 

 

En matière de distribution, l’AP dit vouloir faciliter l'accès de ses clients aux contenus et vouloir les mettre les mettre en production plus rapidement. Dans ce contexte, peut-on lire sur le site, l’agence travaille à l'optimisation du contenu par le biais de la reconnaissance des images, et ce, grâce à la création d’une première taxonomie à l’aide de la technologie connue sous le nom de vision par ordinateur.

 

En ce qui concerne les photos et la technologie de pointe, l’AP est une pionnière. Rappelons qu’en janvier 2022, l’agence a annoncé qu’elle allait commencer à vendre ses productions photos en format jetons non fongibles (non-fongible tokens ou NFTs) au fournisseur de technologie de chaîne de blocs Xooa pour développer une place de marché pour ses NFT. Ce commerce a commencé avec une collection initiale qui a été libérée au cours des semaines après son lancement.

 

Lors de la mise en service de ce projet, le directeur de la blockchain et des licences de données d'AP Dwayne Desaulniers  a dit que « grâce à la technologie de Xooa », son agence est en mesure d’offrir ces pièces tokenisées « à un public mondial de collectionneurs de photographies NFT en pleine croissance. »

 

Chaque NFT comprendra un riche ensemble de métadonnées originales offrant aux collectionneurs une connaissance de l'heure, de la date, du lieu, de l'équipement et des paramètres techniques utilisés pour la prise de vue.

 

Toujours en lien avec la technologie de chaîne des blocs, il est à noter que l’AP fait figure de proue depuis quelques années. 

 

Selon un article écrit en novembre 2020, Shiraz Jagati a rapporté que l'Associated Press avait commencé à publier les résultats des élections présidentielles américaines sur les blockchains Ethereum et EOS en utilisant le logiciel OraQle d'Everipedia. 

 

Le journaliste et analyste spécialisé dans les cryptomonnaies, a expliqué qu’en recourant à un système aussi novateur, l'AP avait tenté d'établir « un registre permanent et inviolable » des résultats pour chaque État, au fur et à mesure qu'ils lui parvenaient. 

 

Par ailleurs en octobre 2021, l'Associated Press a annoncé son intention de mettre ses ensembles de données économiques, sportives et d'appels de course fiables à la disposition des principales blockchains via Chainlink, « le plus grand réseau décentralisé d'oracles au monde». 

 

Selon le communiqué de presse de l’agence, ceci permet aux « contrats intelligents » sur n'importe quelle blockchain d'interagir en toute sécurité avec les données du monde réel de l'AP.

 

En lançant un nœud Chainlink, qui connecte de manière sécurisée les environnements blockchain avec des données externes, les données des PA seront fournies et vendues directement aux applications fonctionnant sur diverses blockchains. Les données seront signées cryptographiquement pour vérifier qu'elles proviennent bien d'AP. 

 

Il est important de signaler qu 'en mars 2022, Associated Press a publié un rapport qui fournit un aperçu de la compréhension que les médias locaux ont de l'intelligence artificielle et de leur volonté de s'en servir pour répondre à leurs besoins journalistiques et opérationnels.

 

L’intérêt de l’AP sur cette question ne lui est pas exclusif, admettent les auteurs du « Artificial Intelligence in Local News A survey of US newsrooms’ AI readiness ».

 

En effet, Aimee Rinehart et Ernest Kung croient que l'importance accordée par AP à l'IA est plutôt une tendance du milieu des informations. Le rapport de recherche mentionne des publications récentes faites entre autres par le département des médias et des communications de la London School of Economics and Political Science ayant décrit en 2019 l'ampleur croissante de l'adoption de l'IA par les fournisseurs de nouvelles du monde entier.

 

Reinhart et Kung rappellent aussi l’étude du Reuters Institute for the Study of Journalism de l'Université d'Oxford qui note que les technologies d'IA sont devenues la norme pour les grands éditeurs nationaux et internationaux. 

 

Cependant, disent les chercheurs, on soupçonnait que la prise de conscience et l'utilisation de l'IA n'étaient pas parvenue aux « petits » fournisseurs de nouvelles.

 

Ce « fossé » perçu dans la connaissance et l'adoption de l'IA a incité AP à poursuivre une initiative d'IA pour les nouvelles locales, financée par la Fondation John S. et James L. Knight, afin de comprendre le véritable état de l'art au niveau local et de promouvoir des utilisations intelligentes et éthiques de la technologie de l'IA qui peuvent aider les fournisseurs de nouvelles locales à améliorer leur travail journalistique, à réaliser des gains d'efficacité et à réduire les coûts.

 

Les principaux apports du sondage et de l'analyse réalisés par Reinhart et Kung concernent la collecte, la production et la distribution de l’information, ainsi que les aspects les plus essentiels du monde médiatique. 

 

Les auteurs concluent que l’utilisation de l’intelligence artificielle par les médias et les salles de rédaction locales pourrait réduire significativement la charge de travail des journalistes et des administrateurs du contenu.  

 

Avec une utilisation accrue des outils de transcription, de réception automatique des  alertes de mise en ligne de nouveaux documents ou contenus, ou encore des systèmes intelligents de génération, optimisation et planification des publications, les petites rédactions où le personnel doit être multitâche gagneraient beaucoup de temps.

 

Après la publication de ce rapport, AP a dit vouloir répondre « à un grand nombre des besoins soulignés» dans celui-ci, rendant disponible un programme d'études en ligne gratuit à partir du mois avril 2022, ouvert à tous les organes de presse américains. Il comprend des ateliers virtuels en direct et des tutoriels enregistrés sur l’IA. Les médias internationaux peuvent avoir accès à toutes les sessions enregistrées du programme.

 

 

Chapitre 4. Lutte à la désinformation

 

« Nous entrons dans une nouvelle ère de désinformation », a dit le journaliste ukrainien Mstyslav Chernov, lors d'un débat au Forum économique mondial (FEM) de Davos en 2022. 

 

Les autorités russes ont mis en doute la véracité de bon nombre des photographies de Chernov,  l'un des derniers reporters internationaux à Marioupol, ses photographies étant  « devenues des symboles crus de la guerre en Ukraine ».

 

Mstyslav Chernov croit que nous vivons une époque dans laquelle les images que nous montrons et les faits que nous présentons perdent de leur pertinence. 

 

Il affirme que nous n'en sommes plus à l’époque de nous demander si le journalisme traditionnel est devenu obsolète à l'ère des réseaux sociaux, mais que nous en sommes plutôt à un moment où « le journalisme basé sur les faits et provenant de sources fiables est plus important que jamais, en tant que contrepoids à la montée de la désinformation et de la propagande alimentée par les médias sociaux. »

 

Les constatations du journaliste ukrainien ne sont pas une surprise pour les agences de presse internationales qui, depuis quelques années, œuvrent à leur mesure et aussi en collaboration avec d’autres agences, médias ou milieux académiques pour combattre la désinformation.  

 

Rappelons à titre d’exemple que l’accord entre Google et l'AFP sur les droits voisins signé à l'échelle européenne pour une durée de cinq ans comporte aussi un programme de lutte contre la désinformation. L'AFP proposera pour ce faire des formations à la vérification des faits.

 

Par ailleurs, au printemps 2021, à la suite d'un appel à propositions, la Commission européenne a sélectionné l'Agence France Presse pour participer à trois programmes européens de lutte contre la désinformation, et ce, en France, en Europe de l'Est, en Belgique et au Luxembourg. 

 

À partir de septembre 2021, des « hubs contre la désinformation » ont été créés à travers ces territoires. En France, l'AFP travaille avec le médialab de Sciences Po Paris, le CLEMI (Centre d'éducation aux médias et à l'information) et des vérificateurs du paysage médiatique français. 

 

En Pologne, en République tchèque et en Slovaquie, l'agence est associée à l'Université Charles de Prague et à l'institut de recherche slovaque KInIT, lesquels travaillent à l'amélioration des algorithmes de détection de la désinformation. Enfin, respectivement en Belgique et au Luxembourg, le partenariat comprend la Vrije Universiteit à Bruxelles et RTL, la principale chaîne de télévision privée du Luxembourg.

 

Rappelons également qu’en avril 2021, l'AFP est devenue la  première partenaire mondiale de vérification des faits de Facebook par l’entremise d’une « campagne pédagogique » sous forme des vidéos de sensibilisation aux fausses nouvelles. 

 

Cette collaboration en a entraîné une deuxième qui vise à ce que Facebook la subventionne pour organiser des formations pour la lutte contre la désinformation dans des rédactions partout dans le monde.

 

Un modèle similaire avait aussi été mis en place entre ce même réseau social et Reuters à travers le  Facebook Journalism Project.  

 

En août 2021, Twitter a annoncé un partenariat avec l'Associated Press et Reuters « pour fournir plus rapidement des informations crédibles sur le réseau social, dans le cadre d'un effort visant à lutter contre la diffusion de fausses informations. »

 

La directrice principale de la curation des contenus chez Twitter, Johanna Geary, écrit dans son communiqué : « Nous sommes ravis de vous annoncer que Twitter collabore désormais avec The Associated Press (AP) et Reuters afin d'étendre nos efforts pour identifier et valoriser les informations crédibles sur Twitter. »

 

Dans le même document, on peut aussi lire qu’au cours de la phase initiale du programme, AP et Reuters devaient se concentrer uniquement sur la vérification du contenu en anglais. 

 

Hazel Baker, responsable chez Reuters de la collecte des informations dont le contenu est généré par les utilisateurs a spécifié que « la confiance, l'exactitude et l'impartialité sont au cœur de ce que fait Reuters chaque jour, en fournissant à des milliards de personnes les informations dont elles ont besoin pour prendre des décisions intelligentes.» Selon elle, ces valeurs sont également à la base de l’engagement de Reuters de mettre fin à la diffusion des fausses informations.   

 

Nous sommes ravis de nous associer à Twitter pour tirer parti de notre profonde expertise mondiale et locale afin de servir la conversation publique avec des informations fiables.

 

Pour sa part, Tom Januszewski, vice-président du développement commercial mondial chez AP, a rappelé que l’agence travaille depuis longtemps en étroite collaboration avec Twitter, ainsi qu'avec d'autres plateformes, pour étendre la portée du journalisme factuel. « Ce travail est au cœur de notre mission », ajoute-t-il. 

 

En ce qui a trait à l’annonce de ce partenariat, la journaliste Sheila Dang de Reuters a déclaré pour sa part qu’à l'instar d'autres entreprises de médias sociaux, la société basée à San Francisco a subi des pressions pour supprimer les informations trompeuses ou fausses sur son site. 

 

Bloomberg adopte une stratégie qui lui est propre en ce qui concerne la lutte à la désinformation. 

 

La compagnie crée des partenariats avec des médiaux locaux, en Afrique particulièrement, par le biais de son Initiative Bloomberg Media Afrique (BMIA) qui octroie des fonds pour soutenir la création de contenus basés sur des preuves, y compris la vérification des faits concernant l'impact de la pandémie, en particulier au Kenya et en Afrique du Sud. 

 

 « Le Fonds BMIA pour les médias communautaires a été créé pour améliorer l'accès des citoyens à des informations fiables, pour faire entendre les voix marginalisées et pour faire progresser les reportages sur les questions socio-économiques qui ont un impact sur les communautés régionales en Afrique. Alors que nous sommes confrontés à l'insécurité économique au milieu de cette pandémie, l'accès à des nouvelles et à des informations locales fiables n'a jamais été aussi important, ou plus menacé par des informations fausses et trompeuses. » - Erana Stennett, directrice de Bloomberg Media Initiative Africa 

 

Par ailleurs, dans un contexte d’avancement technologique, Bloomberg donne son appui financier à des recherches en intelligence artificielle qui peuvent contribuer à la lutte aux fausses nouvelles. 

 

En effet, lors de la conférence annuelle 2022 du chapitre nord-américain de l'Association for Computational Linguistics (NAACL 2022), des chercheurs du groupe AI Engineering de Bloomberg ont présenté trois recherches en matière de traitement du langage naturel (NLP) et de linguistique informatique.

 

L'une d’entre elles est particulièrement intéressante en termes de lutte contre la désinformation et la mésinformation. 

 

L’article Learning Rich Representation of Keyphrases from Text de Mayank Kulkarni, Debanjan Mahata, Ravneet Singh Arora et Rajarshi Bhowmik porte sur la façon de former des modèles de langage spécifiques à une tâche visant à reconnaître des phrases clés à partir de documents textuels. 

 

Dans leur article, les auteurs présentent la notion de Falsesum, un pipeline de génération de données conçu pour produire automatiquement des exemples NLI (inférence en langage naturel ou natural language inference) dans des documents. 

 

Falsesum consiste en un modèle de génération de texte à partir d’un extrait de document source et son résumé correspondant, produit ensuite un résumé perturbé qui est factuellement incohérent avec l'entrée. Ces résumés incohérents générés sont aussi fluides et plausibles que leurs homologues factuellement cohérents, expliquent les auteurs de l’étude. Les faux résumés peuvent ensuite être utilisés comme exemples pour entraîner les machines à distinguer les résumés factuels des résumés non factuels.

 

Quoique leurs recherches, le modèle et les données générées soient complexes dans l'ensemble, les auteurs espèrent qu'ils pourront améliorer l'applicabilité des modèles de classification NLI.

 

Tous les exemples de partenariats et de projets de lutte à la désinformation semblent démontrer une certaine inquiétude de la part des agences en ce qui concerne le manque de confiance grandissant des citoyens envers les institutions médiatiques, entre autres. 

 

Cependant, selon Laurent Petit, pour lutter contre la désinformation, il sera nécessaire d'aller bien plus loin que la vérification des faits. 

 

Pour ce professeur en sciences de l'information et de la communication à l’Université La Sorbonne, l'origine de méfiance généralisée vient de ce que l'interprétation des faits semble de plus en plus limitée par des récits présentés comme des commentaires individuels faisant autorité.

 

Pour Petit, vu que les outils de vérification des faits ne manquent pas et ne peuvent pas tout résoudre, il est donc nécessaire que les grandes institutions, incluant les institutions médiatiques, commencent à faire la promotion du « doute constructif ». 

 

« La piste mise en avant ici pourra paraître paradoxale et susceptible d’aggraver le mal : il s’agirait d’apprendre à douter ! Mais pas n’importe comment. Il ne s’agit pas d’introduire le doute nihiliste qui s’applique à tout, sans discernement, et qui essaie de faire passer l’ignorance des faits et des mécanismes de la communication pour la manifestation la plus aboutie de l’esprit critique. Mais le doute constructif, celui qui amène à une suspension provisoire du jugement, dans l’attente d’investigations plus poussées menées de manière méthodique. » 

 

Chapitre 5.  Conclusion 

 

L’étude Journalism, Media, and Technology Trends and Predictions 2022 conclut que, pendant l’année 2021, autant les journalistes que le public ont connu une sorte d'épuisement causé par l'incessante actualité et les débats de plus en plus polarisés sur la politique, l'identité et la culture. 

 

Par ailleurs, dans une autre analyse réalisée aussi par le Reuters Institute for the study of Journalism et coordonnée par le journaliste et stratège numérique Nic Newman, on en arrive à la conclusion que 38 % des personnes dans le monde évitent « souvent ou parfois » les nouvelles, contre 29 % en 2017. 

 

Newman explique que cette fatigue liée aux informations a provoqué, entre autres, la diminution de l'auditoire des médias dans de nombreuses régions du monde, ce qui est loin d’être une situation idéale « à une époque où la rigueur et la fiabilité des informations sont si importantes pour la santé et la sécurité des personnes. »

 

Selon Newman et son équipe, le principal défi pour les médias à l’avenir sera de regagner l'attention des publics qui se sont éloignés des informations et d'établir des relations plus étroites avec les consommateurs habituels d’informations.

 

La recherche conclut également que les clivages générationnels resteront un enjeu incontournable, car les médias devront s’adapter rapidement aux nouvelles priorités des citoyens pour les consolider ou pour atteindre de nouveaux publics. Les changements climatiques, la santé mentale, la diversité et l’inclusion deviennent des sujets et des tendances inéluctables. 

 

Par ailleurs, selon le rapport Cision's 2022 State of the Media Report: Insights PR Pros Need to Win Over Journalists, bien qu'il s'adresse principalement aux relationnistes de presse, le plus grand défi des journalistes est de maintenir leur crédibilité en tant que source d'information fiable (32 %) et de combattre les accusations de  « fake news ». 

 

En deuxième lieu, les journalistes citent l'impact de la réduction du personnel et des ressources sur leur charge de travail. En fait, trois journalistes sur dix (29 %) rédigent 10 articles ou plus par semaine.

 

Tous les éléments ci-dessus mentionnés illustrent bien le contexte dans lequel les agences de presse internationales naviguent en ce moment. 

 

Dans ce contexte, il faut également tenir compte de la technologie qui ne cesse de défier les producteurs de contenu, et ce, autant en ce qui concerne la création de matériel d’information que la diffusion de celle-ci dans les formats les plus adaptés aux publics d’aujourd’hui.

 

Chacune des quatre agences étudiées ici est confrontée aux défis actuels à sa manière et selon ses propres objectifs à la fois financiers et informationnels. 

 

Sophie Huet, rédactrice en chef centrale de l'AFP, nous rappelle que dans l'immédiat, son agence doit faire face à la crise qui frappe les médias du monde entier - lesquels sont ses clients - en raison notamment de la transformation numérique et du déclin de la publicité durant la pandémie. 

 

Elle affirme que l’Agence France-Presse, forte de son passé, doit encore faire preuve de flexibilité en adaptant son modèle et son organisation à la transformation numérique. 

 

Selon elle, cette transition doit se faire en produisant des contenus pertinents par leur format et leur contenu et en s’orientant vers les besoins des grandes plateformes (vérification de l'information notamment) qui captent une part croissante des revenus publicitaires. 

 

Par ailleurs, Mme Huet estime que l’AFP n’a pas le choix de maintenir un réseau de journalistes performant sur le terrain dans le monde entier, et ce, malgré les coûts élevés que cela puisse représenter. 

 

Faisant référence aux défis auxquels toutes les agences sont confrontées, et pas seulement celle qu’elle représentait au moment de répondre à nos questions, l’ancienne rédactrice en chef de Reuters Gina Chua considère qu’à court terme, les défis pour les agences de presse consistent à continuer de s'adapter et de se moderniser au fur et à mesure que les technologies progressent de manière à atteindre de nouveaux publics.  

 

Les agences de presse doivent garder le cap pour répondre aux besoins de leurs clients et fournir des informations avec rapidité, exactitude et perspicacité, de même qu'un contenu distinct et différencié, nous a-t-elle dit. 

 

Chua considère par ailleurs que la lutte contre la désinformation et l'érosion de la confiance dans l'information au sens large sont également des problèmes clés auxquels le secteur des médias dans son ensemble est confronté. 

 

Lorsque questionnée par notre équipe, Mme Chua n’a pas fait mention du modèle payant instauré récemment par Reuters. 

 

En effet, en avril 2021, presque en même temps que sa nouvelle rédactrice en chef Alessandra Galloni a été nommée, Reuters a annoncé la création d’un nouveau site web d'abonnement dans le cadre d'une initiative visant à courtiser les professionnels du monde des affaires. 

 

En mai 2021, la mise en place du nouveau Reuters.com a été retardée en raison d’une dispute autour de la conclusion de la vente, pour un montant de 27 milliards de dollars américains, de l'ancienne division financière de Thomson Reuters, désormais appelée Refinitiv, au London Stock Exchange Group Plc.

 

Selon les termes de l'accord, Reuters News est assuré de recevoir des paiements annuels d'au moins 336 millions de dollars pour fournir des informations et du contenu éditorial à Refinitiv jusqu'en 2048. 

 

Consulté peu après l’annonce du site payant, l’analyste des médias Douglas McCabe, a déclaré qu’à son avis il serait difficile pour Reuters de convaincre les consommateurs de payer pour du contenu. « Reuters est une marque que beaucoup de gens reconnaissent mais vers laquelle ils ne vont pas intuitivement  », a-t-il ajouté.

 

En ce qui concerne l’Associated Press, son vice-président senior pour la stratégie  Jim Kennedy croit que le défi le plus important à court terme pour les agences de presse concerne la croissance des revenus. 

 

Kennedy ajoute que les agences de presse sont confrontées aux impératifs de la transformation numérique et de l'innovation à un moment où la croissance des revenus est difficile et où l'accès aux technologies innovantes nécessite des investissements importants.  

 

« Les géants de la technologie sont devenus les principaux lieux de distribution et de consommation de l'information et ont absorbé la plupart des recettes publicitaires qui soutenaient autrefois des médias. »

 

Selon le vice-président senior pour la stratégie, les GAFAM ont un impact direct sur leurs clients du secteur des médias et un impact indirect sur les activités de l’AP en tant qu'agence de licence de contenu fournissant ces marques au détail. 

 

En même temps, selon Jim Kennedy, les agences de presse doivent rester sensibles aux biais des algorithmes et s’engager à utiliser de manière éthique toute technologie d'IA qu’elles cherchent à adopter. Elles doivent également se méfier de la direction que les plateformes technologiques géantes donnent à leurs technologies d'IA. 

 

En ce qui concerne Bloomberg, l’unique agence financière, il est à noter qu’elle prévoit une expansion mondiale majeure afin de devenir pertinente dans différentes régions de la planète ou d'assurer sa consolidation sous cet aspect .

 

Dans une entrevue accordée à Sarah Fisher du média Axios, le PDG de Bloomberg, Scott Havens, a déclaré en juillet 2022 que son média ne pourra pas évoluer adéquatement en ce qui concerne la fréquentation et les audiences s’il n'approfondit pas également les sujets nationaux et régionaux.

 

Si l'entreprise peut accroître son audience et son engagement de manière efficace à un niveau plus localisé, il poursuit en disant que ses opportunités financières allaient se développer de manière exponentielle.

 

Sarah Fisher assure dans son article que l'entreprise a déjà commencé à explorer les marchés dont le produit intérieur brut (PIB) est relativement élevé et les régions où elle est déjà présente, notamment en France, en Allemagne, au Japon, en Malaisie et dans certaines parties de l'Afrique, dès cette année.

 

« Cependant, cette approche dépendra fortement des investissements technologiques » , a déclaré M. Havens, notamment des technologies permettant de traduire une partie de la couverture mondiale en fonction du public local, grâce à des doublages et des traductions numériques de textes.

 

À notre avis, les audiences représentent un aspect essentiel pour l'analyse du modèle d’abonnement payant et du «terminal Bloomberg». 

 

Jusqu’à maintenant, le public et les clients de Bloomberg n’ont jamais été un public traditionnel. Certainement, les médias généralistes reprennent des contenus de l’agence pour les transmettre à leurs publics, mais on peut affirmer que les gens ordinaires consultent peu ou pas par eux-mêmes les informations proposées par Bloomberg. 

 

C'est un média (et une agence) qui cible un public et des médias disposant de moyens financiers pour payer pour les informations, comme les professionnels. 

 

Cependant, comme l'a expliqué Tim Groot Kormelink dans son récent article Why people don’t pay for news: A qualitative study , les consommateurs typiques d'informations ne paient pas pour celles-ci pour des raisons aussi simples que : 

 

  • Le prix (la raison la plus citée pour ne pas payer pour les informations).
  • Une quantité suffisante d'informations disponibles gratuitement, ce qui crée une mentalité de « libre-service ».
  • La réticence à s'engager ou la peur de manquer (FOMO) d'autres publications.
  • Des problèmes techniques et de livraison, tels que des difficultés d'enregistrement et de connexion. 

 

Voilà pourquoi l’incursion de Bloomberg au Royaume-Uni au début de cette année n’est pas du tout anodine. L’agence a monté de toute pièce une salle de rédaction à Londres avec des journalistes locaux pour concurrencer la presse locale. Ce n’est pas rien et ça montre, peut-être, les voies dans lesquelles cette agence est prête à s'engager dans l'avenir.

 

En conclusion, il nous paraît clair qu’actuellement, et à l’avenir, les agences de presse internationales devront continuer de démontrer que leur existence dans le paysage médiatique mondial reste pertinente, tout en faisant preuve d'ouverture à une diversité de points de vue et de réalités. 

 

Elles devront également être flexibles et créatives afin de toujours se présenter comme des entités journalistiques fiables, tout en s'adaptant financièrement et technologiquement au monde qu'elles représentent.  

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